Michel Mouillart : « Paris est un marché immobilier de pénurie et d’exclusion ! »

Le professeur d’Economie Michel Mouillart avait anticipé les prix à 10 000 euros du m2 à Paris il y a un an via le baromètre LPI-SeLoger dont il est le porte-parole. Il nous livre aujourd’hui son analyse de l’état du marché.

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Ariane Artinian : Il y a déjà un an, vous aviez prédit que les prix parisiens atteindraient 10 000 euros du mètre carré… et aujourd’hui comment voyez-vous la situation ?

Michel Mouillart : Dès le mois de janvier 2019, nous avions vu qu’avec la référence du niveau annuel glissant, que nous utilisons habituellement, nous franchirions la barre des 10 000 euros du mètre carré pour les prix parisiens. Comme l’observatoire LPI – SeLoger s’appuie sur les compromis de vente, il est logique que nous ayons plusieurs mois d’avance sur les notaires qui s’appuient sur les actes définitifs.

Cette fameuse « barre » des 10 000 euros commençait déjà à se propager dans Paris au début d’année. Elle est évidemment partie des VIe, VIIe et VIIIe arrondissement. Elle a ensuite gagné le IXe, le XVIe, les arrondissements centraux. Depuis le début de l’été, douze arrondissements parisiens connaissent des prix supérieurs ou égaux à ces 10 000 euros. Sans surprise, le XIXe et le XXe restent à la traîne avec 8 000 euros du mètre carré.

https://twitter.com/SeLoger/status/1169907151638167552

Cependant, même avec 8 000 euros, on reste largement au-dessus de ce que l’on trouve dès lors que l’on franchit le périphérique (sauf évidemment si l’on s’arrête à Neuilly-sur-Seine…). Seules quelques communes limitrophes parviennent, péniblement, à 8 000 euros du mètre carré, comme Levallois. Ailleurs, les prix tournent autour de 6 000 euros !

Tous ces chiffres nous rappellent que la pression de la demande, sur un marché de pénurie, où la politique locale de l’habitat ne fait absolument rien pour faciliter la fluidification du marché, crée des mécanismes qui renforcent l’exclusion et le recentrage du marché sur quelques catégories de clientèles.

A.A : Dans de telles conditions, qui peut encore acheter aujourd’hui à Paris ?

M.M : La réponse est claire, et tient en trois catégories.

  • Des acheteurs étrangers, même s’ils ne font pas la totalité du marché parisien, qui peuvent venir parce qu’ils sont complètement affranchis des contraintes budgétaires.
  • Des acheteurs français, mais dont le niveau de revenus n’a plus rien à voir avec ceux des acheteurs classiques des autres grandes métropoles françaises. Dans les années 60, un ouvrier pouvait encore acheter à Paris. Dans les années 70, les cadres avaient encore les moyens. Dans les années 80, il fallait regarder du côté des cadres supérieurs. Aujourd’hui, cela n’a plus rien à voir avec ces profils classiques.
  • La troisième catégorie d’acheteurs, enfin, sont ceux qui ont un apport personnel considérable au delà même de leur niveau de revenus. Et cet apport vient bien souvent de ce que l’on appelle la « mobilité résidentielle », c’est à dire la revente. Ce phénomène qui fait que l’on va acheter d’abord à Suresnes, puis à Levallois, puis à Paris. On voit ainsi des acheteurs qui ont des revenus normaux, mais qui ont des apports personnels de 50 voire 60 % du prix du bien !

Paris est un marché de pénurie, d’exclusion, et de renforcement des mécanismes de ségrégation !

A.A : Que disent les compromis que vous voyez passer à l’heure actuelle ?

M.M : Ils laissent entendre que la hausse est en train de se stabiliser. Nous ne sommes plus autour de 7% ou 8%, mais de 6 %, ce qui devrait d’ailleurs rester le cas jusqu’à la fin de l’année. Cette croissance n’a rien d’insupportable pour les clientèles qui se présentent…  Les villes dont les hausses faisaient la une des journaux il y a un an ne présentent plus aujourd’hui le même visage…

De même, les villes qui ont fait la une des journaux à cause leur hausse qui paraissait folle méritent d’être regardées de nouveau. À Bordeaux, il y avait peut être des hausses de 15 % il y a un an… mais aujourd’hui, elle n’est plus que de 1,5 % ! Dans certaines grandes villes, les prix baissent… À quelques exceptions près, la hausse des prix a ralenti presque partout.

Voilà d’ailleurs le paradoxe : on entend beaucoup que, si les prix augmentent autant, c’est parce que les conditions de crédit sont excellentes… Certes… Mais on voit aussi que lorsque les taux de crédit s’améliorent encore, la hausse ralentir, ou les prix baissent… Je ne vois que deux exceptions, en Bretagne. À Rennes et à Brest, les prix ont pris plus de 10 % sur un an.

A.A : Comment l’expliquer ?

M.M : Il est clair que le seul « effet LGV » (ligne à grande vitesse) ne suffit plus. Il y a une forte pression de la demande sur ces territoires, et souvent un manque d’offres, ou en tout cas d’offres qui satisfassent les critères de la demande d’aujourd’hui : de beaux immeubles, avec des ascenseurs, des facilités de stationnement… C’est le gros problème de la majorité des métropoles. Quand ces produits existent, ils se vendent rapidement, et la hausse de leur prix est rapide elle-aussi.

Il ne faut enfin pas oublier que la pression de la demande est forte, partout. Elle ne surprend personne à Bordeaux, mais elle existe aussi à Quimper, Guingamp, Grenoble… Cette pression de la demande s’explique par les mouvements de population, et l’insuffisance chronique de construction… et cela touche même certains territoires ruraux et intermédiaires.

Par Ariane Artinian