«Politique du logement : faut il encore y croire ?», Michel Mouillart, professeur d’économie à l’Université de Paris Ouest, FRICS
Michel Mouillart exprime son scepticisme sur l’efficacité des mesures logement du favori des sondages à l’élection présidentielle.
Faut-il redouter une remontée des taux d’intérêts après l’élection présidentielle ?
Michel Mouillart : Non. Il n’y a aucune inquiétude majeure à avoir sur le niveau des taux d’intérêt. Tous les scénarios financiers actuellement disponibles tablent toujours sur le maintien de la stratégie actuelle de la BCE. L’OAT à 10 ans se situerait autour de 1.1 % à la fin de 2017, le taux de refinancement de référence de la BCE restera à 0 % toute l’année et un début de remontée (modeste) n’interviendrait pas avant l’été ou l’automne 2018. Il y aura bien sûr des ajustements à la marge, mais le problème ne se situe au niveau des taux d’intérêt.
Au niveau des prix alors ?
Michel Mouillart : Il est vrai que hausse des prix est presque partout soutenue, même si le ralentissement se profile dans les villes qui avaient connu les évolutions les plus rapides, comme par exemple à Bordeaux, à Brest ou à Strasbourg. On ne terminera probablement pas l’année avec des rythmes de progression de prix aussi rapide qu’aujourd’hui dans la plupart des villes. Mais ni les évolutions des taux d’intérêt, ni la pression sur les prix ne sont véritablement préoccupants, pour l’instant. Le véritable problème c’est que la France souffre aujourd’hui d’une insuffisance d’offre de logements qui dérègle les marché et qui ne devrait pas se solutionner facilement si on ne relève pas l’effort de construction, compte tenu des évolutions démographiques auxquelles la France va se trouver confronter dans les 25 prochaines années.
Le programme logement d’Emmanuel Macron prévoit justement de créer un choc d’offre. C’est donc la voie à suivre ?
Michel Mouillart : Personne ne peut être contre l’idée de mettre plus de logements sur le marché. Encore faut-il regarder en détail comment il est envisagé de créer ce choc d’offre. Et il faut aussi répondre à d’autres questions : et notamment, où construire plus et comment financer cela. Mais en la matière, peu de précisions permettent d’y voir clair. Bien sûr, il est précisé que l’encadrement des loyers ne sera pas remis en question, tant qu’une évaluation de son efficacité (laquelle ?) n’aura pas été réalisée : mais on ne sait pas qui la réalisera, quand, sur quelle base … Donc, autant dire que les investisseurs privés ne devraient pas être rassurés sur Paris, Lille, la région parisienne et demain, probablement d’autres agglomérations. Alors le choc sera-t-il porté par les accédants : pas évident non plus si on se souvient, comme l’administration des finances l’a conseillé par le passé, que l’ISF deviendra un impôt sur la fortune immobilière, que la propriété immobilière n’est qu’une usine à produire de la rente et que la taxe d’habitation sera « réformée » afin d’éviter que sa révision ne vienne en rééquilibrer l’assiette au détriment du secteur locatif social … Donc, qui va porter le choc ? Probablement pas le logement intermédiaire … ou alors il faudra se contenter d’une pénurie de l’offre, comme cela s’est constaté durant le quinquennat qui s’achève. Et si on descend dans le détail de certaines propositions, on voit bien qu’aucune des questions de fond n’est abordée. Prenons l’exemple du renforcement de la transparence dans l’attribution des logements sociaux, exposé comme une des solutions essentielles au traitement de la demande des ménages modestes. On a ici la ferme impression que la réalité est oubliée : le problème essentiel ne réside pas dans l’attribution (ou n’y est qu’accessoire) des logements sociaux. La question à régler est celle de l’occupation du parc locatif social, comme l’INSEE l’a récemment rappelé ; dans ces presque 400 000 ménages comptant parmi les 30 % des plus riches et qui occupent un logement social dans les grandes agglomérations ; dans la mise en œuvre d’un surloyer dissuasif afin d’éviter le renouvellement de ces situations ; … alors que l’accord est maintenant général sur le fait que le parc locatif privé loge plus de ménages pauvres que le parc locatif social, et même sur Paris ! Donc, si on veut un véritable choc d’offre, il faut s’en donner les moyens et pas seulement l’apparence.
Qu’est-ce qui pêche donc dans cette façon d’appréhender la politique du logement ?
Michel Mouillart : L’orientation générale n’est certainement pas la bonne. On a même l’impression qu’il suffit simplement de poursuivre dans la voie ouverte par la loi ALUR. Alors que les grands enjeux à venir sont négligés : encore une fois, comment la France pourrait-elle faire face à la pression de la démographie qui est annoncée pour les 25 prochaines années ? Où va-t-on loger tous ces nouveaux ménages, sur les marchés des grandes agglomérations déjà déstabilisés et déstructurés ? Comment répondra-t-on à la demande de 20 % de la population qui vit en zone rurale ?
La France rurale n’est donc pas suffisamment prise en compte ?
Michel Mouillart : Non. Pourtant les Français ont autant de mal à accéder à un logement dans les communes rurales ou dans les petites villes de moins de 10 000 habitants que dans la plupart des grandes agglomérations. Ne serait-ce que parce que sur ces territoires, il n’y a guère de logements locatifs sociaux, alors qu’on y compte proportionnellement plus de pauvres et de ménages très modestes que sur les territoires où le logement social est bien implanté. C’est aussi dans les petites agglomérations que la fracture sociale est à l’œuvre. C’est là aussi que la société se délite, et pas seulement dans les banlieues. Malheureusement, l’importance des situations humaines générées par les déséquilibres en matière de logement n’a pas été intégrée, ni d’ailleurs la réalité de la diversité des territoires et de l’insuffisance générale de l’offre. Il y a un vrai déficit de compréhension de la situation actuelle et de ces conséquences !
Propos recueillis par Ariane Artinian