Attractivité territoriale et prix des logements

L’attractivité territoriale ne saurait se résumer aux simples « possibilités économiques » qu’offre un territoire (trouver un emploi, faire évoluer sa carrière, développer son entreprise, …). L’analyse de Michel Mouillart, Professeur d’Economie, FRICS.

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Concurrence entre les territoire pour attirer les populations et les investissements

Dans un contexte de poursuite de la décentralisation, alors que la priorité qui est mise sur le développement des espaces métropolitains est en permanence réaffirmée, trop souvent au détriment du reste du territoire[1], la concurrence entre les territoires se renforce pour attirer les populations et les investissements nécessaires au développement économique.

Mais la demande ne se comporte peut-être pas comme les décideurs publics le souhaiteraient[2], si on en croit les préférences qu’elle exprime à propos de ses choix de résidence[3]. Ce qui devrait certainement conduire à s’interroger sur l’importance du fossé qui s’est creusé entre les tenants du « tout recentrage » en faveur des espaces métropolitains[4] et ceux qui préfèreraient un redéploiement des interventions publiques en faveur du logement plus juste, plus équilibré.

Car dans les faits, l’attractivité territoriale ne saurait se résumer aux simples « possibilités économiques » qu’offre un territoire (trouver un emploi, faire évoluer sa carrière, développer son entreprise, …). Mais comme l’a montré le « Baromètre des Territoires »[5], l’attractivité doit aussi tenir compte du cadre de vie : donc de la capacité d’un territoire à offrir un environnement de vie propice à l’épanouissement des personnes (tranquillité, sécurité, proximité de la nature, cadre de vie urbain et paysager, transports et accessibilité, mais aussi et bien qu’à un niveau moindre, offre culturelle, offre commerciale et/ou artisanale, qualité des équipements collectifs).

Certes, des programmes d’investissements publics structurants peuvent influer sur les choix de la demande. Par exemple, la carte des Hauts de Seine va se redessiner avec le déploiement du Grand Paris Express : les temps de déplacement vont se raccourcir (une baisse de moitié, par exemple, du temps de transport entre la Défense et Aubervilliers, Bagneux ou Boulogne-Billancourt), les gares vont faire (re)naître des pôles urbains, l’espace public va se restructurer, … Mais cela ne remettra pas fondamentalement en cause l’importance des déterminants actuels de l’attractivité territoriale.

Franchissement du périphérique parisien et diminution des prix

La prise en compte de cette attractivité territoriale peut alors (en partie) expliquer pourquoi le franchissement du périphérique parisien se trouve associé à une diminution des prix des logements anciens. Entre Paris (plus de 11 000 €/m² d’après le Baromètre LPI-SeLoger) et Boulogne-Billancourt, Issy les Moulineaux ou Levallois-Perret, la différence de prix au m² est de l’ordre de 25 % : passer le périphérique a bien un prix ! Evidemment, il n’aurait pas fallu se tromper puisque Neuilly sur Seine est plus chère que Paris … Et si la Seine avait été franchie, à Asnières ou à Courbevoie la différence de prix est de plus de 40 %. Elle est même de 55 % au-delà de La Défense, à Colombes ou à Nanterre.

On pourra trouver de la logique à ces différences de prix dans une région parisienne où domine une pénurie parfois (souvent ?) alimentée par des décisions publiques locales ou nationales. Mais il est plus intéressant de remarquer que des grandes villes de Province très correctement notées du point de vue de l’attractivité territoriale (et mieux notées que beaucoup des communes situées au-delà du périphérique parisien) ne sont guère plus chères que Nanterre ou Colombes : comme, par exemple, Bordeaux, Cannes ou Lyon. Alors que Rennes, Strasbourg et Toulouse sont aux prix de Noisy le Grand ou de Saint Denis.

On devra alors conclure que la région parisienne est « hors de prix ». Il faudrait pourtant remarquer que passer de Bordeaux à Mérignac ou à Pessac correspond à une baisse de prix de 25 % telle celle que le franchissement du périphérique avait permis d’obtenir. Comme d’ailleurs le passage de Lille à Roubaix ou Tourcoing. Alors qu’abandonner le 3ème arrondissement de Lyon pour acheter à Villeurbanne fait économiser plus de 30 %, sans même avoir à s’aventurer à Vaulx en Velin ! Et qu’en outre ces grandes villes de Province, ces métropoles si choyées pas les politiques publiques sont « hors de prix » lorsqu’on les compare aux prix moyens pratiqués dans des départements à dominante rurale comme la Creuse, la Haute Marne, l’Indre ou la Meuse qui s’affichent à 1 250 €/m² ; voire les Ardennes, l’Ariège, la Haute Saône, l’Orne, les Vosges ou l’Yonne à 1 400 €/m². Et pourtant la qualité de la vie est souvent meilleure dans ces départements que dans nombre de communes de la région parisienne.

Rapprocher le prix d’un logement aux revenus des clientèles qui se présentent pour l’acquérir

Il est dans ces conditions intéressant de rappeler que le prix d’un logement n’a guère de sens dans l’absolu, mais qu’il importe plutôt de le rapprocher des revenus des clientèles qui se présentent pour l’acquérir : la demande « solvable » en fait, puisque potentiellement tous les candidats à un achat immobilier à Paris ou en proche banlieue aimeraient certainement acquérir un bien avenue de Breteuil[6]. Et là, on ne peut que constater que le prix relatif d’un bien en primo accession à la propriété, par exemple, est de l’ordre de 5.4 années de revenus mise à part l’agglomération parisienne (dont Paris) : qu’il n’est guère différent entre les communes rurales et les agglomérations de 200 000 habitants et plus[7]. Et qu’il est donc illusoire de considérer qu’il est financièrement plus facile de se loger dans les petites villes de Province que dans les grandes villes où la pression de la demande serait plus forte qu’ailleurs.

Comme cela se constate aussi lorsqu’on observe les taux d’effort des ménages en primo accession, ce qui est évidemment parfaitement logique.

Ce constat est donc sans surprise. Car même si les différences de prix sont sensibles entre les espaces les plus convoités et les zones rurales ou les territoires intermédiaires, elles ne font que refléter les inégalités sociales et économiques, ainsi que celles qui se constatent dans la diffusion des équipements collectifs (transports, équipements médicaux, culturels et administratifs) et l’accès aux services publics. Elles révèlent aussi les facilités de circulation des personnes, à l’intérieur des espaces et entre les territoires. Aussi, on constate presque toujours que les niveaux des prix sont étroitement corrélés au niveau des revenus des acheteurs en réponse aux orientations des politiques publiques nationales et/ou locales favorisant les espaces métropolitains qui loin de mettre en œuvre l’égalité des territoires facilitent le développement de la gentrification et de l’exclusion économique et sociale : l’accès aux espaces convoités nécessite alors un effort financier d’autant plus élevé que les biens sont idéalement situés. Puisque faute d’un aménagement du territoire que les politiques publiques ont remisé depuis nombre d’années et qui permettrait de traiter d’une façon équilibrée tous les « territoires de la République », les inégalités demeurent même si a priori l’attractivité territoriale pourrait être comparable entre un grand nombre de territoires.

Il y aura toujours des biens de qualité supérieure, des vues dégagées ou exceptionnelles

Bien sûr, la hiérarchie des prix à l’intérieur des espaces laisse aussi ressortir des différences entre les « triangles d’or », par exemple, et le reste d’un marché local, même lorsque les valeurs se situent nettement au-dessus de la moyenne (locale ou nationale) : il y aura toujours des biens de qualité supérieure, des vues dégagées ou exceptionnelles, des proximités de commerces, … à Brest, à Marseille, à Mulhouse, à Toulouse comme à Paris. En outre, même en supposant que les métropoles correspondent déjà à ces espaces plus chers que les autres, du fait notamment d’une meilleure attractivité économique et de soutiens publics plus appuyés, les inégalités de prix qui se constatent entre elles sont remarquables[8]. Par exemple, concernant les prix des appartements anciens, l’écart est de 1 à 4 entre la métropole du Grand Paris et celles de Brest, du Grand Nancy ou de Rouen-Normandie[9]. Et à l’intérieur des métropoles, les écarts de prix sont en général de l’ordre de 15 à 20 % entre la ville–centre et la périphérie[10].

En outre, les évolutions des prix des appartements anciens sur longue période que constate le Baromètre LPI-SeLoger restent très différentes entre les grandes villes (et entre les espaces métropolitains). Depuis 2012, les prix ont augmenté le plus vite sur Bordeaux, de 43 % au total (+ 5.2 % par an, en moyenne) : le développement du marché qui a été rendu possible par l’arrivée de nouvelles clientèles encouragée par les décideurs publics locaux s’est accompagné d’une gentrification, le renouvellement des acheteurs et donc l’alimentation d’une dynamique des valeurs inconnue jusqu’alors sur le territoire. Dans d’autres villes pourtant elles-aussi convoitées par la demande, la hausse des prix a été moins rapide : comme à Lyon ou à Rennes (+ 35 %, soit + 4.5 % par an) ou encore à Nantes, Strasbourg ou Toulouse (23 %, soit + 3.0 % par an) qui ont bénéficié d’une forte pression de la demande et pourtant d’une progression des valeurs plus « modérée », en raison bien souvent du niveau auquel les prix étaient déjà parvenus (un niveau élevé au regard tenu des revenus des clientèles présentes sur ces marchés).

 

Ailleurs, les prix n’ont très souvent progressé que plus modérément, de l’ordre de 5 à 10 % (1 à 1.5 % par an) dans la plupart des cas : sauf lorsque le marché a bénéficié d’un « coup de pouce » tel un effet LGV (Brest) ou d’une « extension » géographique de la « capitale » voisine (Villeurbanne) …

Mais même durant ces années de progression assez rapide des valeurs, certaines villes ont connu une quasi stabilité des prix ou parfois ont souffert d’une baisse des prix, la plupart du temps modérée (5 % au total) mais néanmoins révélatrice des difficultés économiques et budgétaires qui y ont déstabilisé la demande, en dépit du dynamisme de l’offre bancaire et de la baisse des taux des crédits immobiliers constatés durant les années 2012 à 2019 : comme par exemple à Amiens, au Havre, à Limoges, à Saint Etienne ou à Toulon.

Il paraît donc difficile de comprendre certaines explications concernant les niveaux et les évolutions des prix des logements anciens, même si elles sont souvent largement reprises. Cela est par exemple le cas de l’existence d’une bulle qui a bonne presse, alors que la plupart des études remettent en cause son existence[11]. Il est en de même des risques d’une hausse inconsidérée des prix des logements que l’expansion des crédits immobiliers ferait peser sur l’économie française comme la Banque de France l’a redécouvert (afin de justifier les recommandations du HCSF), après avoir expliqué depuis 2016 dans les rapports de l’ACPR (« Évaluation des risques du système financier français ») que la « dynamique de l’endettement des ménages (était) portée par le marché immobilier » !

Le constat d’une diversité des situations et des évolutions observées au niveau local devrait suffire pour rappeler que les explications de circonstance ne suffisent peut-être pas pour rendre compte de dynamiques multiformes et complexes, pourtant essentielles car elles restructurent des espaces habités et génèrent des exclusions que les politiques publiques sont désormais dans l’impossibilité de corriger. Sauf bien sûr si les explications apportées rendent compte de la multitude des situations locales, des inégalités entre les territoires et des potentiels d’attractivité territoriale … Mais on ne peut qu’en douter !

[1] Comme en témoigne encore le « fameux » rapport du CNH préparé par Bernard Coloos (FFB) et Alexis Rouque (FPI) à la demande du Président du CNH, Aurélien Taché : « Construire la ville de demain pour tous » (février 2020).

[2] Par exemple :

  • Marie-Pierre de Bellefon et alii, « 38 % de la population française vit dans une commune densément peuplée », INSEE Focus, n° 169, 22 novembre 2019
  • Vincent Vallès, « Une croissance démographique marquée dans les espaces peu denses », INSEE Focus, n° 177, 30 décembre 2019

[3] Les résultats de l’enquête réalisée par le CEVIPOF en juin 2019 auprès d’un échantillon représentatif de la population française présentés lors du 102ème Congrès de l’AMF devraient interpeler : à la question « Dans l’idéal, si vous aviez le choix, vous préféreriez vivre … ? », 45 % des personnes interrogées ont cité la campagne, 41 % une ville de taille moyenne et 14 % une métropole ! On remarquera à cet égard que le Baromètre 2019 Qualitel-IPSOS présenté en octobre 2019 proposait des résultats tout à fait comparables.

[4] Tel par exemple le Vice-président de la FPI, Pascal Boulanger (« Construire aujourd’hui et être réélu demain », Actes des Entretiens d’Inxauseta, Bunus, 30 août 2019, page 44) : « Les maires de villes peu tendues sont favorables à la promotion, mais nous n’avons pas vraiment envie de nous y investir ».

[5] IPSOS, « Baromètre des Territoires » 2019, avec le soutien de la Banque des Territoires.

[6] Ce qui ne serait pas forcément vrai pour un achat à Saint Denis ou à Vaulx en Velin, par exemple.

[7] Le constat est identique si on élargit l’analyse à l’ensemble des accédants à la propriété.

[8] L’exemple des difficultés rencontrées lors des tentatives de délocalisation des sièges sociaux ou des pôles administratifs au bénéfice de territoires pourtant situés dans des espaces métropolitains illustre bien les « réticences » d’une grande partie de la demande concernée par ces projets à quitter les espaces économiquement et socialement protégés.

[9] En revanche, l’écart se réduit sensiblement, de 1 à 2, si la comparaison se fait avec les métropoles de Bordeaux, Lyon et Nice. Les différences de prix sont alors à l’image du potentiel de développement économique des territoires et des niveaux de revenus des ménages résidants, même si elles ne reflètent pas toujours la qualité de vie constatée.

[10] En général, les prix sont plus élevés dans la ville-centre que sur le reste de la métropole. La surcote de la ville-centre est la plus forte pour Paris (30 % pour les appartements). Puis viennent Bordeaux, Lyon et Rouen (20 %), exprimant encore une forte attractivité de l’espace central. Sur Nantes, Strasbourg ou Toulouse, la surcote se situe à 10 %, exprimant encore une forte attractivité de l’espace central. Alors qu’avec moins de 10 % d’écart, Grenoble, Lille et Nancy présentent un espace métropolitain apparemment plus homogène ou (en fait) moins attractif. En revanche, la ville-centre reste moins chère que le reste de la métropole, à Brest ou à Marseille (voire à Montpellier) : la demande qui y exprime ses préférences pour un habitat en maison individuelle (versus l’habitat collectif) cherche à s’éloigner de la ville-centre, souvent en raison du sentiment d’insécurité et/ou de dégradation du cadre de vie, mais aussi du fait d’un habitat largement inadapté aux aspirations actuelles de la demande (ce qui est particulièrement vrai dans les villes de la « Reconstruction »).

[11] Il n’existe pas de signe clair de surévaluation des prix des logements anciens, leur niveau s’expliquant assez bien dès lors que sont prises en compte les conditions de financement (« Plusieurs modèles économétriques disponibles dans la littérature académique ou issus de travaux d’institutions internationales (OCDE, FMI, BCE par exemple) permettent d’estimer un niveau des prix immobiliers cohérent avec les fondamentaux économiques » : HCSF, « Diagnostic des risques dans le secteur de l’immobilier résidentiel », octobre 2019) : ce n’est évidemment pas pour cela que ceux qui ont repris leur croisade sur l’effondrement à venir des prix des logements (après – parfois – avoir annoncé une chute à venir allant jusqu’à 35 %, il n’y a pas si longtemps …) lâcheront leur marronnier.

Michel Mouillart, Professeur d’Economie, FRICS