COVID-19: Entre crises et guerres, chronique de la mobilisation

Michel MOUILLART, Professeur d’Economie, FRICS livre en exclusivité pour les lecteurs de MySweetimmo son analyse sur les conséquences de la crise du coronavirus. Il s’exprimera ici à intervalle régulier dès lors que la situation l’exigera.

Michel Mouillart

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Dès le 10 janvier, les agences régionales de santé étaient alertées et le 21 janvier, le Directeur Général de la Santé abordait la question de l’épidémie du coronavirus lors d’une conférence de presse. Puis le 24 janvier, les 3 premiers cas ont été détectés en France. Le 31 janvier, les premiers rapatriements étaient réalisés depuis Wuhan … Et à partir du 25 février l’épidémie se propage dans l’Oise, s’installe en Haute-Savoie, dans le Morbihan, dans le Haut-Rhin, en Martinique …

En moins de 2 mois, la France est passé du stade 1 au stade 3 du plan de réaction à la pandémie de coronavirus[1]. Si le stade 3 vise à l’atténuation des effets de la pandémie, il paraît de plus en plus probable que cette dernière est là pour durer et que le stade 4, celui du retour à une situation normale, n’est guère à l’ordre du jour.

Les conséquences économiques à venir vont donc être sévères, comme le Premier Ministre l’a confirmé au Sénat lors de la séance des questions au gouvernement, le 19 mars : « Nous sommes entrés dans une crise sanitaire jamais vue, jamais connue en France depuis un siècle et cette crise sanitaire va imposer un coup d’arrêt puissant, massif, brutal, à notre économie ». Tous les secteurs de l’activité économique vont être durement impactés : le secteur de la construction de logements et celui de la transaction immobilière ne seront évidemment pas épargnés, loin s’en faut.

A la crise sanitaire va ainsi s’ajouter une crise économique[2] dont l’ampleur et la durée sont encore inconnues[3], mais qui va presque sûrement s’accompagner d’une crise financière[4].

De l’incertitude à la crise économique

Le choc économique provoqué par la crise du coronavirus est multiforme et brutal. Et il va fortement dégrader la croissance française. Mais aussi alimenter le climat anxiogène qui avait déjà eu à intégrer les conséquences de la réforme des retraites sur les ménages. L’inquiétude des agents économiques sur la solidité de l’économie française et sur ses possibilités de rebond n’a donc pu que se renforcer : ainsi, après avoir hésité quelques jours, la Bourse a décroché dès le 24 février. Entre le 21 février et le 18 mars, le CAC40 a alors perdu près de 38 % de sa valeur !

Mais paradoxalement, la montée de l’incertitude[5] et, dans son sillage, l’accroissement de la volatilité des marchés financiers avait jusqu’à récemment bénéficié aux emprunts d’Etat (dont l’OAT à 10 ans) dont la qualité restait bonne aux yeux d’investisseurs, les considérant comme de véritables valeurs-refuges.

C’est bien pour cela que le 17 mars, le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire avait tenu à affirmer que le combat contre le coronavirus est « aussi une guerre économique et financière » et que de ce fait, « elle sera durable, elle sera violente ». Et dans le récent projet de loi de Finances rectificative[6], le Gouvernement estime que « le choc négatif lié à l’épidémie de coronavirus conduirait à une évolution du PIB d’environ – 1 % en 2020 ».  Et de préciser que «  l’impact économique de l’épidémie de coronavirus retenu pour cette prévision est cohérent avec les évaluations publiées en mars par l’OCDE[7] et la BCE, qui estiment un choc négatif allant de – 0,2 à – 1,4 point de PIB en 2020 pour l’Europe selon le degré de contagion et les mesures mises en place ».

Toutefois, les évaluations de l’OCDE et de la BCE mentionnées sont anciennes, comme le souligne le rapport de la Commission des Finances du Sénat[8] : par exemple, celle de la BCE ont été publiées le 12 mars sur la base d’hypothèses techniques arrêtées le 18 février ! En outre, le scénario de croissance retenu repose « sur deux hypothèses fortes, celle d’un confinement limité à un mois et celle d’un retour rapide à la normale de la demande française comme étrangère » loin d’être acquises[9].

L’ampleur de la crise économique

Pour beaucoup d’économistes[10], les hypothèses retenues par le Gouvernement sont fragiles. Dès lors qu’il s’agit de préparer l’économie française à résister, puis à se reconstruire, il aurait été préférable de tester d’autres scénarios mieux adaptés peut-être, ou probablement plus réalistes. A une crise économique et sociale qui durerait plusieurs mois (jusqu’à l’été ?), avec des pertes d’activité de 25 à 50 %, puis une sortie lente et hésitante. Certes, les Etats de la zone euro se préparent à un réengagement budgétaire massif venant en accompagnement de l’effort sans précédent de la BCE, mais il n’est pas certain que les agents économiques puissent répondre rapidement si leur « confiance »[11] a été abimée …

Le rapport du Sénat cite, par exemple, un recul du PIB français attendu de 4.8 % en 2020 par la banque américaine Morgan Stanley[12]. Et il souligne ce qui ressemble clairement à une sous-estimation de l’importance du recul du PIB en 2020 en repartant de l’exemple de la Chine : si la contraction du PIB était de 10 % (ce qui suppose donc un 2ème trimestre sans durcissement de la crise), la perte d’activité serait comprise entre 4.2 % et 6.3 %, en fonction de l’importance du rattrapage du 2nd semestre. Et comme il est probable (en l’état actuel des éléments d’évaluation disponible) que le rattrapage sera « au mieux » de 75 %, la crise de 2020 sera très probablement (presque sûrement) plus violente que celle de la crise de 2008-2009.

Il est alors intéressant de remarquer que le budget rectificatif présenté au Bundestag (le « projet de sauvegarde de l’économie ») et qui sera discuté à partir du 24 mars anticipe une récession de 5 % du PIB allemand en 2020 !

Car finalement, les trois crises qui ont frappé l’économie française depuis la Libération sont toutes intervenues après le premier choc pétrolier, donc lorsque la France avait choisi de rompre avec les Trente Glorieuses. Elles ont été d’une ampleur moindre que celle qui est attendue pour 2020 (au moins 2 à 3 fois moins forte) : avec un recul du PIB de 1.0 % en 1975 (contre coup du premier choc pétrolier), de 0.8 % en 1993 (contre coup de la crise des marchés obligataires et des marchés d’actions et de l’éclatement de la bulle spéculative japonaise) et de 2.7 % en 2009 (crise des « subprimes »). Et elles ont toutes été suivies d’un rebond de la production (+ 4.3 % en 1976, + 1.8 % en 1994 et + 1.7 % en 2010), mais dont la puissance s’est atténuée d’une crise à l’autre.

Aussi, revenant probablement sur les analyses présentées par le Gouvernement jusqu’à présent, le Ministre de l’Economie prévoit maintenant (lors de sa conférence de presse du 24 mars) des semaines particulièrement difficiles, précisant qu’il n’y a aujourd’hui « pas d’autre élément de comparaison que la grande dépression de 1929 » ! Les prochaines semaines, voire même les prochains jours, permettront donc certainement de préciser si le scénario de la crise est celui d’une perte de 10.0 % de PIB au 1er semestre, ou s’il convient de privilégier celui avec perte à 15.0 % : dans ce cas, le rattrapage ne sera jamais de 100 %, mais tout au plus de 75 % … et la perte d’activité se situerait alors entre 7.8 % et 9.4 %.

Un secteur bancaire mobilisé

Le 19 mars, le Président de la Fédération Bancaire Française, Frédéric Oudéa[13], expliquait sur une chaîne de télévision française : « Nous sommes face à une situation inverse à 2008, avec des banques qui entrent dans cette crise avec des bilans très sains. Tout l’enjeu, au-delà des questions sanitaires, est de préserver les capacités de production ».

Il commentait ainsi le plan d’urgence annoncé la veille par la BCE. L’objectif est clairement de contenir les répercussions économiques de la pandémie : « Contrairement aux années 2008-2009, le choc auquel nous sommes confrontés est universel …  une grande partie de l’économie est temporairement à l’arrêt. Par conséquent, l’activité économique dans la zone euro va se contracter considérablement » (Christine Lagarde, le Figaro Vox, 19 mars).

Les rachats massifs des dettes des Etats et des entreprises de la zone euro sur les marchés devraient ainsi soulager les banques et leur permettre de relancer les crédits aux ménages et aux entreprises. A la différence de la timidité dont Jean-Claude Trichet avait fait preuve lors du déclenchement de la crise des « subprimes »[14], la Présidente de la BCE qui avait eu à soutenir la production et l’emploi en France durant les années 2008-2009 n’a guère hésité : « Tout resserrement des conditions de financement accroîtrait les difficultés causées par le choc du coronavirus dans une période où l’économie a besoin de plus de soutien. … La BCE veillera à ce que tous les secteurs de l’économie puissent bénéficier de conditions de financement favorables leur permettant de faire face au choc » (le Figaro Vox, 19 mars).

Aussi la réponse de la BCE est massive de par son importance et la nature des interventions envisagées. Afin de faire face à la crise sanitaire, elle s’est engagée à un « assouplissement quantitatif » (son « QE ») pour un total de 1 050 milliards d’€ d’ici la fin de l’année 2020, soit près de 117 milliards chaque mois : pour comparer l’ampleur de ces interventions avait été de l’ordre de 60 milliards chaque mois face aux risques de la déflation, du printemps 2015 jusqu’à la fin de l’année 2018.

Le financement des marchés immobiliers français ne devrait donc pas avoir, a priori, à subir les conséquences de la crise du coronavirus. Les liquidités disponibles devraient rester abondantes et les taux des crédits immobiliers devraient rester bas. D’ailleurs les scénarios actuellement disponibles[15] tablent sur une diminution du taux moyen de l’OAT à 10 ans de l’ordre de 50 points de base par rapport à 2019 (puis un maintien à ce bas niveau en 2021.

Cependant, depuis le mardi 17 mars et l’annonce du confinement, le taux de rendement actuariel d’une valeur du Trésor fictive dont la durée de vie serait de 10 années[16] remonte. Il s’était établi à – 0.31 % en moyenne du 9 au 12 mars : il était de + 0.23 % du 17 au 20 mars. Les investisseurs expriment ainsi leurs doutes sur (la solidité de) l’économie française, ainsi que sur les conséquences à venir du creusement du déficit public[17]. Et de toute façon, l’accroissement massif de la dette publique va jeter sur le marché un volume de titres tel que leur prix va baisser, que leur taux de rendement va remonter.

On ne peut donc pas exclure (loin s’en faut) une remontée des taux des crédits immobiliers, surtout si le climat de défiance des investisseurs à l’égard des obligations d’Etat se durcissait. Mais pour l’heure, le marché des crédits immobiliers est en panne, dans un contexte de fermeture des agences immobilières et d’un arrêt progressif des chantiers de construction.

Aussi, s’il ne fait aucun doute que les statistiques révèlent dans les prochaines semaines un marché des crédits atone, la question qui doit se poser aujourd’hui est celle « du jour d’après » : comment l’offre bancaire de crédits immobiliers se redressera demain ? quels seront les taux des offres proposées ? quel sera le type de reprise des marchés immobiliers (en V, en W, …) ?

Et peut-être et surtout, est-ce que les autorités françaises de contrôle de banques auront entendu les recommandations de la Présidente de la BCE affirmant que « tout resserrement des conditions de financement accroîtrait les difficultés causées par le choc du coronavirus » et est-ce qu’elles remiseront leurs « recommandations de décembre 2019 » ?

 

[1] Ce plan repose sur le volet REB du plan Orsan de 2014 consacré aux risques épidémiques et biologiques (Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles). Il a été déclenché le 23 février 2020.

[2] La crise économique est la conséquence d’un ralentissement brutal de l’activité et des perspectives économiques. Et la plupart du temps, elle n’est pas durable : par exemple, la crise dite des « subprimes » n’a duré que deux années. En revanche, sa généralisation à plusieurs secteurs de l’économie ou à plusieurs pays peut entraîner une dépression économique ou une récession lorsqu’elle se prolonge dans le temps : par exemple, la Grande Dépression de 1929 a duré 10 années au total.

[3] L’adoption de la « loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 » par l’Assemblée Nationale le 22 mars laisse comprendre que la France s’installe dans une crise sanitaire et sociale longue, de plusieurs mois sans doute. 

[4] « Nous allons affronter une crise financière sans précédent, une crise de l’économie réelle. Nous ne sommes pas au bout de ce que cette épidémie va nous faire vivre » : déclaration du Président de la République, Le Journal du Dimanche, 22 mars.

[5] Une des conséquences de la crise sanitaire consiste en effet en la dégradation de la confiance que les agents économiques, dont les ménages, peuvent avoir en l’avenir. Car la paralysie actuelle de l’activité économique est pour la plupart d’entre eux inconnue, sans précédent à ce jour. Leur système anticipatif est bousculé, ébranlé. D’autant que faute d’une visibilité suffisante compte tenu de la complexité de paramètres épidémiologiques complexes, la durée de la crise et sa gravité restent largement inconnues : pas seulement incertaine, inconnue ! Beaucoup estimant même que l’impact de la crise sur la croissance a été sous-estimé et qu’il conviendra à l’avenir de faire preuve d’une grande prudence, notamment s’il faut investir à moyen ou long terme.

[6] Projet de loi de Finances rectificative pour 2020 : « Rapport sur l’évolution de la situation économique et budgétaire et exposé général des motifs », enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 18 mars 2020 (sous le n° 2758).

[7] « Coronavirus : the world economy at risk », Perspectives économiques de l’OCDE, 2 mars 2020.

[8] Projet de loi de finances rectificative pour 2020 : Rapport n° 385 présenté par Albéric de Montgolfier, Rapporteur général, Commission des Finances, Sénat, 20 mars 2020.

[9] Haut Conseil des finances publiques, avis n° HCFP-2020-1 relatif au projet de loi de Finances rectificative pour 2020.

[10] En ce qui la concerne, la Banque de France a choisi de ne pas diffuser ses « Perspectives macroéconomiques » en mars, comme à l’habitude. Mais d’en reporter la publication en juin prochain. Ce que le Gouverneur de la Banque de France a expliqué dans l’interview accordé à Ouest-France le 23 mars : « La croissance sera négative cette année, puis positive en 2021. Il est encore trop tôt pour donner des chiffres ». 

[11] On pourra afin d’illustrer cette inquiétude, prendre pour exemple le scénario économique présenté le 20 mars par la Société Générale (« ScénarioEco », n° 38,  Études économiques et sectorielles, mars 2020). Sous l’hypothèse que la pandémie « atteindra son point culminant au deuxième trimestre de l’année en cours et qu’elle s’atténuera par la suite » (donc suivant un scénario proche de celui du Gouvernement), le recul du PIB serait de 0.4 % en 2020. Cependant, cela serait suffisant pour entrainer une remontée du taux de chômage : 8.9 % (France entière) en 2020, après 8.2 % en 2019. Et la remontée se poursuivrait en 2021, avec un taux de chômage à 9.4 %, compte tenu de la mollesse de la reprise ! 

[12] « Covid-19 Contraction », Euro Area Economics, Morgan Stanley, 17 mars 2020.

[13] Par ailleurs Directeur Général de la Société Générale.

[14] Allant même (et contre toute attente) jusqu’à relever les taux d’intervention de la BCE le 9 juillet 2008, au plus profond de la crise qui déstabilisait les marchés financiers et les économies réelles.  

[15] Celui de la Société Générale (opus cité) en constitue une parfaite illustration. 

[16] Ce qui est parfois abusivement assimilé au taux de l’OAT à 10 ans : mais qui constitue un précieux indicateur du niveau de confiance que les investisseurs place en les obligations d’Etat puisque la Banque de France ne mets plus à jour les séries de taux indicatifs des bons du Trésor et des OAT depuis le 16 mars dernier.

[17] Le 20 mars, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé une suspension des règles de discipline budgétaire qui s’appliquent aux 27 Etats membres de l’UE : « nous déclenchons la clause dérogatoire générale … Cela signifie que les gouvernements nationaux peuvent injecter dans l’économie autant qu’ils en auront besoin … Nous assouplissons les règles budgétaires pour leur permettre de le faire ».

Michel Mouillart, Professeur d’Economie, FRICS