Crédit immobilier : « Le choc de la production s’explique à 40% par les recommandations du HCSF, à 60% par la crise sanitaire », Michel Mouillart

L’Observatoire Crédit Logement / CSA pour le 2ème trimestre 2020 vient de sortir. Michel Mouillart revient sur les principaux constats observés sur le marché des crédits immobiliers au micro d’Ariane Artinian. Extraits choisis.

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Depuis avril dernier, les taux des crédits immobiliers aux particuliers remontent, la hausse a d’ailleurs été forte en mai dernier. Comment cela s’explique t-il ?

Michel Mouillart : Avec le déclenchement de la crise sanitaire, les établissements de crédit se sont retrouvés confrontés à de nouveaux risques. Tout d’abord, un risque macroéconomique évident avec la montée du chômage et les pertes de pouvoir d’achat. Puis un risque sur les ménages en cours de remboursement, simplement parce que l’absence d’aide personnelle fait que le filet de sécurité qui jouait durant les années antérieures n’est plus opérationnel aujourd’hui. Enfin, les risques portés sur les crédits accordés aux entreprises se renforcent avec des probabilités de faillites et de cessations d’activité renforcées.

Donc à partir du mois de mars, un peu en avril et beaucoup en mai, les établissements de crédit ont remonté leurs taux : 8 points de base de cotation des taux des crédits immobiliers au mois de mai, alors que jusqu’à présent, entre décembre 2019 puis mars 2020, la hausse était mois par mois de l’ordre de 1 point de base à 2 points de base. Une fois ce choc passé, la hausse des taux constatée au mois de juin est très modérée, 3 points de base. Pour autant, nous nous retrouvons au moins de juin avec un taux moyen à 1,29% soit 18 points de base de plus qu’en décembre 2019. Toutes les durées de prêt sont concernées par cela, même si certains emprunteurs ont connu des augmentations plus fortes que les autres -ceux qui  disposent de l’apport personnel le plus faible, les profils sociaux-professionnel les moins qualifiés avec les niveaux de revenus les plus fragiles.

Et donc les établissements de crédit ont remonté plus fortement les taux sur ces catégories de ménages quelle que soit la durée du prêt octroyé : 15 ans, 20 ans ou 25 ans. En revanche, les ménages qui présentent les meilleurs risques, la moitié inférieure, premier groupe et deuxième groupe, sont les ménages qui ont connu les augmentations les moins fortes, soit depuis le mois de mars, soit depuis décembre 2019.

Peut-on examiner l’une des évolutions intervenues durant le confinement, à savoir l’allongement de la durée des prêts octroyés ?

Michel Mouillart : Durant le confinement, les établissements de crédit ont accru les durées des prêts octroyés. En 2019, nous étions sur une durée moyenne de 228 mois, ce que l’on a constaté encore au premier trimestre de cette année. Et puis, avec la crise sanitaire, l’allongement a porté la durée moyenne à 231 voix, ce que l’on observe au mois de juin. La crise n’a pas enrayé la hausse des prix de l’immobilier, bien au contraire. Et puis, comme les taux se sont accrus, si les établissements de crédit souhaitaient que les ménages puissent continuer à réaliser leurs projets, ils étaient obligés d’allonger les durées. Et d’ailleurs, quand on regarde la structure de la production de prêts bancaires pour l’accession à la propriété, on s’aperçoit qu’au deuxième trimestre, 49,6% de la production a été accordé sur une durée de 20 ans et jusqu’à 25 ans. En revanche, ce sont les durées les plus courtes qui ont continué à se réduire. Mais ne nous trompons pas non plus, les établissements de crédit ont continué à faire ce qu’ils faisaient depuis plusieurs années déjà, ils ont réduit la part et le poids des prêts à plus de 25 ans.

Outre les conditions de crédit, quelles ont été les évolutions des autres grands indicateurs du marché ?

Michel Mouillart : Pour suivre le marché on regarde tout d’abord l’évolution du coût des opérations. Le coût moyen progresse de 4,3% sur les six premiers mois de l’année, en comparaison de la situation 2019. Il est clair que le rythme est beaucoup plus soutenu qu’en 2019, le coût augmentait alors de 25%. Dans le même temps, les revenus des ménages qui réalisent leurs projets ont progressé de 2,5% (en 2019, la hausse n’était que de 0,5%). Cela ne signifie pas que les ménages qui réalisent une opération ont connu une augmentation de leur revenu, cela signifie que la clientèle s’est transformée. Sur le marché nous avons aujourd’hui une proportion beaucoup plus importante de ménages aisés et de ménages à revenus moyens élevés qu’en 2019.

En contrepartie de cela, nous avons moins de ménages modestes, moins de ménages appartenant aux csp ouvriers/employés et cela signifie que cette transformation du marché tire et le revenu moyen vers le haut et le coût des opérations vers le haut, car les ménages qui restent sur le marché réalisent des opérations plus coûteuses. Ce qui va dans le sens de ces évolutions c’est l’augmentation forte de l’apport personnel moyen. 8,4% de l’augmentation de l’apport personnel moyen l’année dernière, cet apport baissait de 5,2%. C’est clair, les ménages qui restent sur le marché sont des ménages à l’apport personnel plus important.  C’était une volonté qui avait été affichée par les autorités monétaires depuis plusieurs années déjà. C’est une recommandation du HCSF et donc nous avons ici cette transformation de marché qui s’exprime part une augmentation rapide de l’apport personnel et puis l’augmentation des revenus des ménages qui réalisent.

Comment la transformation du marché s’observe-t-elle autrement que par les grands indicateurs de marché ?

Michel Mouillart : Pour regarder cette transformation du marché, on peut regarder aussi la composition sociodémographique de ces ménages. Donc regardons tout d’abord l’appartenance à une profession. Nous avons en 2020, une moindre représentativité des ouvriers et des employés,  et  en contrepartie de cela une augmentation rapide de la part des cadres et des professions libérales. Nous avons un basculement qui est en train de se produire au sein des clients qui se présentent sur le marché.  Cette année, nous avons 36,2% de ménages qui ont moins de 3 SMICS, contre 39% l’année dernière. C’est une diminution forte qui va venir dans le sens des évolutions précédentes et qui va dans le sens imprimé par les recommandations du HCSF. En contrepartie de cela, ce sont les 5 SMICS et plus qui voient leurs parts dans le marché progresser 27,4% cette année, nous étions à 24,6% l’année dernière. Le marché se transforme profondément.  Ce sont les ménages aux revenus plus élevés, des ménages qui appartiennent à des catégories socioprofessionnelles plus qualifiées, qui réalisent les opérations.

Chaque année l’observatoire présente quelques-uns des résultats de l’observatoire du financement du logement de l’institut CSA…

Michel Mouillart : Chaque année depuis 1978, l’institut CSA réalise une enquête très lourde, l’observatoire du financement du logement. C’est une opération immobilière sur neuf, financée par recours à des crédits immobiliers, qui est analysée. Nous avons donc travaillé cette année sur 100 000 opérations d’accession à la propriété et au total sur 150 000 opérations immobilières.

Lorsque l’on regarde plus précisément l’accession à la propriété, on peut voir ce qu’il est advenu des taux d’apport personnel des emprunteurs. Il est clair qu’à partir de 2016, pour répondre aux conséquences de la hausse des prix de l’immobilier, pour répondre à la dégradation des soutiens publics à l’accession à la propriété, les établissements de crédit ont allégé leurs exigences en matière d’apport personnel.

Cela a eu comme conséquences qu’en 2015 nous étions sur 34% d’accédants à la propriété qui disposaient d’un apport personnel inférieure à 10%, en 2019 nous sommes 49%. Il est clair que cette évolution permet de comprendre pourquoi les marchés immobiliers se sont développés aussi rapidement avec l’arrivée de clientèle modeste faiblement dotée en apport personnel, mais cela révèle aussi la fragilité de ce marché avec la mise en œuvre des recommandations du HCSF. Une des recommandations du HCSF est de limiter le taux d’effort des emprunteurs, cela revient à limiter le taux d’apport personnel de ceux qui ont sur le marché.
L’augmentation qu’on a constatée entre 2015 et 2019 nous dit simplement qu’il y a à peu près 300 000 accédants à la propriété qui auparavant apportaient un apport de moins de 10% du coût de l’opération vont rencontrer des difficultés pour rentrer sur les marchés immobiliers.

A quoi doit-on s’attendre sur la production de crédits immobiliers 2020 et 2021 ?

Michel Mouillart : Bien sûr, le marché a rebondi un peu au mois de mai et beaucoup plus au mois de juin. Nous restons sur un nombre de prêts qui est de 9,8% inférieur à ce qu’il était en 2019 à la même époque. Nous avons bien un marché qui est reparti lentement, plus lentement, mais qui continue à cumuler bien sûr les conséquences de la crise sanitaire mais aussi l’impact des recommandations du HCSF. Quand on regarde ce qu’est le premier semestre de l’année, il est évident que la situation est préoccupante, le nombre de prêts sur les 6 premiers mois de l’année : -27,7% de moins qu’en 2019 à la même époque avec -33% pour le marché du neuf et -25,2% pour le marché de l’ancien.

Nous voyons bien qu’il y a eu un choc lourd, très dur, qui résulte de la crise sanitaire et de la mise en œuvre des recommandations du HCSF. C’est dans ce contexte-là, qu’on craint que l’année 2020 ne soit pas une bonne année, c’est le moins que l’on puisse dire. Quand on regarde par exemple les offres de prêts accordés, nous avions en 2019 un peu moins de 190 milliards d’offres acceptées. Nous pensons que nous allons descendre cette année à 140 milliards. S’il n’y avait pas eu la crise sanitaire, les recommandations du HCSF auraient de toute façon conduit le niveau des offres acceptées vers les 170 milliards. Ce qui signifie que la chute que l’on constate en 2020 c’est pour 40% la conséquence des recommandations du HCSF et pour 60% les conséquences de la crise sanitaire.

On craint que le mouvement de recul se poursuive en 2021, il y a une incertitude de ce côté-là soyons clairs, tout dépendra de la manière dont la reprise va se faire, tout dépendra de la manière dont la 2ème vague de la crise sanitaire se déploiera à l’automne. Toujours est-il que dans le scénario qui est le moins optimiste, nous sommes à 120 milliards d’offres acceptées en 2021, nous redescendrions donc sur les niveaux les plus bas que nous avons connu lors de la crise des subprimes durant les années noire de 2012 à 2014.

Michel Mouillart, Professeur d’Economie, FRICS
Pour en savoir plus sur l’Observatoire Crédit Logement / CSA pour le 2ème trimestre 2020 et le mois de juin 2020 rendez-vous ici