L’évaluation de la rente cognitive : une réponse à la disruption des formations traditionnelles de l’immobilier ?

En quoi la notion de rente cognitive peut-elle apparaître comme un critère novateur d’évaluation de l’efficience d’une formation ? Réponse avec Sébastien Bourbon dont la reflexion s’appuie sur le cas de la formation des développeurs fonciers, poste stratégique chez les promoteurs immobiliers.

Disruption

© adobestock

 0

Face à l’émergence de modèles éducatifs disruptifs, les structures de formation cherchent des réponses. Un travail d’évaluation de leur rente cognitive pourrait alors les aider à évaluer leurs forces et leurs faiblesses face à de nouveaux entrants. L’objectif consiste donc à évaluer la variété des connaissances que les structures éducatives apportent, la qualité de leur rente cognitive collective, ainsi que leur capacité à satisfaire les diverses rentes cognitives individuelles des parties prenantes. Cela permet d’esquisser la grille d’évaluation d’une structure éducative en mobilisant la rente cognitive comme indicateur.

La rente cognitive constitue la quintessence de toute structure éducative. Il s’agit d’un « capital immatériel constitué grâce l’accumulation, la transformation et la création de connaissances implicites et explicites » (Bourbon, 2020). Face à l’émergence de modèles alternatifs de formation, les structures éducatives s’interrogent (Tran, 2020). Comment les acteurs en place s’adaptent-ils à cette configuration ? La réponse passe peut-être par une évaluation des forces et des faiblesses de la rente cognitive de ces structures. En quoi la notion de rente cognitive peut-elle apparaître comme un critère novateur d’évaluation de l’efficience d’une formation ? La réflexion de l’article va s’appuyer sur le cas de la formation des développeurs fonciers, un poste stratégique au sein des sociétés de promotion immobilière.

Evaluer tous les aspects de la connaissance

La rente cognitive comprend quatre dimensions : maîtrise des procédures (savoirs fondamentaux), compétences (savoir-faire), expertise (savoirs complexes), et expérience (savoir-être) (Bourbon, 2020). Une structure de formation doit alors chercher à avoir une rente cognitive dans laquelle ces quatre formes de connaissance sont bien représentées.

Pour le volet maîtrise des procédures, l’objectif consiste à s’assurer de la qualité et de l’actualité des savoirs fondamentaux enseignés. Sur ce point, les formations de développeurs fonciers proposent un haut niveau de savoirs universitaires (master en droit de l’immobilier, diplôme d’ingénieur avec spécialisation en urbanisme ou en travaux publics, ou instituts supérieurs de gestion, etc.). Les formations de développeurs fonciers apportent ainsi de solides connaissances en immobilier, en urbanisme et en droit de la propriété et de l’urbanisme.

Pour les compétences, la constitution de savoir-faire par ces structures de formation implique de veiller à la connexion des enseignements avec le terrain et à leur caractère opérationnel. Dans le secteur de l’immobilier, les formations de développeurs fonciers ne font pas figure de référence sur ce point. Il faut plutôt regarder du côté du BTS professions immobilières dont le contenu a été élaboré par des professionnels du secteur. L’objectif était d’avoir des personnes opérationnelles dès leur sortie de formation, même si le bagage théorique pouvait être plus léger.

En ce qui concerne l’expertise, la structure de formation doit permettre de disposer des outils intellectuels nécessaires pour aborder la complexité au sens d’Edgar Morin (1990). Face à un problème, le développeur foncier a ainsi une capacité : à analyser chaque élément de la situation ; à intégrer le problème dans des logiques globales et structurelles ; et à trouver les interactions entre les différentes dimensions du problème pour agir sur elles. Dans la formation de développeurs fonciers, les études de cas et les échanges avec les experts du développement foncier peuvent contribuer à l’acquisition de cette expertise.

Pour l’expérience, la structure de formation doit assurer la transmission d’un savoir-être. Ce type de connaissance reste difficile à formaliser et peut manquer dans les formations de développeurs fonciers. C’est d’ailleurs sur ce point que des offres alternatives cherchent à opérer une disruption. Par exemple, 360 Formation propose une reconversion professionnelle dans l’immobilier en huit semaines en mettant en avant la qualité du suivi par une diversité de partenaires expérimentés (Bruneau, 2020). Il est possible de s’interroger sur la pertinence de ces formations courtes en termes de maîtrise des procédures, des compétences et de l’expertise.

Evaluer l’exploitation de la rente cognitive collective

La rente cognitive collective doit s’entendre comme le capital immatériel d’une organisation constitué des connaissances de chacun de ses membres et des connaissances issues des interactions au sein de cette organisation. La robustesse d’une formation face à un risque de disruption passe donc par la capacité à exploiter cette rente cognitive collective.

Le processus de constitution et d’exploitation d’une rente cognitive implique un travail d’identification et d’utilisation de l’asymétrie des connaissances entre la structure de formation et les personnes qui y étudient (Bourbon, 2021). La rente cognitive collective de la structure s’avérera donc de qualité si elle parvient à exploiter une asymétrie présente sur les quatre formes de connaissances constitutives de la rente cognitive.

Pour reprendre l’exemple des formations de développeurs fonciers, l’offre de formation doit permettre de répondre aux besoins de connaissances théoriques de personnes ayant une expérience dans la prospection ou la promotion immobilière ; mais aussi de répondre aux besoins de connaissances pratiques de personnes avec des connaissances juridiques et urbanistiques solides tout en ayant une méconnaissance des savoir-faire dans l’immobilier.

La rente cognitive collective comporte aussi des connaissances issues des interactions au sein de la structure de formation. Sa qualité va alors dépendre notamment du niveau de développement des apprentissages croisés (Hatchuel, 2015). Cette démarche est multidirectionnelle.

Tout d’abord, il s’agit de maintenir une interaction interne/externe à la structure de formation. Elle peut ainsi mettre en place une boucle de rétroaction (Sterman, 2000) constante avec d’anciens étudiants qui font remonter de nouvelles pratiques actualisant les savoirs de la structure de formation. L’interaction interne/externe passe aussi par l’établissement d’un lien avec les entreprises du secteur, généralement celles dirigées par d’anciens étudiants.

Ensuite, le croisement des apprentissages et l’interaction des connaissances repose aussi sur la capacité à faire coexister et dialoguer la théorie et la pratique. L’idée est d’être dans une logique d’amélioration continue réciproque oscillant entre exploitation des acquis et acquisition des nouveautés (Castiaux, 2009). Par exemple, les enseignants de la formation de développeurs fonciers pourraient réaliser un travail de recherche-action en immersion pour rendre leur réflexion plus opérationnelle, mais aussi pour faire connaître aux acteurs économiques de nouveaux concepts utiles pour leur stratégie.

Enfin, l’évaluation de cette mise en œuvre des apprentissages croisés porte aussi sur le cadre organisationnel pour favoriser l’exploitation de la rente cognitive collective. Cela amène à s’intéresser au processus de co-construction des connaissances entre : étudiants/enseignants ; acteurs internes/acteurs externes à l’organisme de formation ; et les différents profils d’étudiants. D’un point de vue opérationnel, la réalisation d’une telle démarche doit mobiliser au sein de la structure un serial learner (Frimousse, & Peretti, 2019) capable de gérer la complexité par la création d’une omnicompétence faisant le lien entre les besoins en connaissances des différents acteurs et de créer un climat de confiance entre eux (Kalika, 2020).

Evaluer la prise en compte de la diversité des rentes cognitives individuelles

La rente cognitive individuelle peut se comprendre comme l’ensemble des connaissances implicites et explicites acquises et transmissibles par une personne se traduisant aussi par une capacité d’apprentissage.

Une structure éducative peut alors être évaluée sur sa capacité à améliorer la rente cognitive individuelle des apprenants. D’un point de vue marketing, elle doit satisfaire leurs besoins en savoirs, savoir-faire, et savoir-être et combler une asymétrie de connaissances.

En reprenant l’exemple de la formation de développeur foncier, deux types de rente cognitive individuelle se démarquent et correspondent à deux profils d’apprenants.

Le premier est l’ « étudiant classique » avec un cursus universitaire avancé (une maîtrise des procédures avancée et quelques compétences) -par exemple un master en droit- mais qui manque d’expertise, d’expérience, et plus généralement de contact avec le terrain. Il a une asymétrie de connaissances plus forte -et donc une rente cognitive individuelle plus faible- par rapport à la structure de formation.

Le second profil d’apprenant correspond au « professionnel en reconversion ». Dans la formation de développeur foncier, il va arriver avec un bagage, une rente cognitive individuelle plus conséquente comportant une forte connaissance du terrain et des codes tacites de l’immobilier. Ses attentes et son asymétrie de connaissances vont alors concerner en premier lieu les savoir fondamentaux et certaines compétences propres au métier de développeur foncier.

 La structure éducative doit également être évaluée sur sa capacité à améliorer la rente individuelle des personnes qui interviennent auprès des apprenants. Là aussi, il existe deux profils de rente cognitive individuelle.

Le premier profil est celui de « l’enseignant-chercheur ». Sa présence au sein de l’organisme de formation doit être une opportunité pour présenter ses réflexions théoriques aux étudiants, mais également aux professionnels. A contrario, sa rencontre avec les acteurs de terrain doit constituer une opportunité de tester son travail de recherche en complétant son savoir par des savoir-faire et des savoir-être.

Le second profil correspond aux « intervenants-experts ». Leur rente cognitive repose essentiellement sur l’expertise et l’expérience. La confrontation au sein de l’organisme de formation avec des savoirs plus académiques doit leur permettre de donner un sens, une cohérence globale à leurs pratiques. Il s’agit aussi d’une opportunité pour leur politique de recrutement en identifiant en amont des profils prometteurs pour leur entreprise.

Ebauche d’une grille d’évaluation de la rente cognitive d’une structure éducative

En intégrant le besoin d’évaluer la variété des connaissances, la qualité de la rente cognitive collective et le niveau de prise en compte des rentes cognitives individuelles, il est possible de proposer une grille d’évaluation des structures mettant en lumière les points à améliorer pour réduire le risque de disruption par des modèles alternatifs.

Sébastien Bourbon

-Bourbon, S. (2020a), Vaincre l’ubérisation par l’asymétrie de connaissances et la rente cognitive, EMS.

-Bourbon, S., et Denis, J-P. (2020), La rente cognitive, une arme stratégique pour vaincre l’ubérisation

-Bourbon, S. (2021), Exploring cognitive rent : A strategy for countering algorithms. Management et Datascience. Repéré à https://management-datascience.org/articles/14822/

-Bruneau, C. (2020), 360 Formation propose une reconversion professionnelle dans l’immobilier en huit semaines seulement !, Repéré à https://www.journaldelagence.com/1181987-360-formation-propose-une-reconversion-professionnelle-dans-limmobilier-en-huit-semaines-seulement

-Castiaux, A. (2009). Responsabilité d’entreprise et innovation : entre exploration et exploitation. Reflets et perspectives de la vie économique, vol.4, n°4, pp.37-49. Repéré à https://www.cairn.info/revue-reflets-et-perspectives-de-la-vie-economique-2009-4-page-37.htm

-Frimousse, S. & Peretti, J-M. (2019), Serial Learner, un talent à développer, Compétences. Repéré à http://www.magrh.reconquete-rh.org/index.php/articles/carrieres/74-peretti

-Hatchuel, A. (2015). Apprentissages collectifs et activités de conception. Revue française de gestion, vol.8, n°8, pp.121-137. Repéré à https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2015-8-page-121.htm

-Kalika, M. (2020), L’impact de la crise sur le management, EMS.

-Morin, E. (1990), Introduction à la pensée complexe, E.S.F.

-Sterman, J.D. (2000), Business dynamics: System thinking and modeling for a com-plex world, McGraw Hill Higher Education.

-Tran, S. (Sep 2020). L’enseignement supérieur va-t-il être disrupté par de nouveaux acteurs ?, Repéré à https://management-datascience.org/articles/14220/

Sébastien Bourbon, dirigeant IFIC Groupe, Docteur in Business Admnistration : Dirigeant IFIC Groupe, Expert judiciaire auprès de la Cour d'Appel de Lyon, Docteur in Business Administration
Sébastien Bourbon est Docteur en Business Administration,  Associate Researcher du Business Science Institute, Dirigeant IFIC groupe et expert immobilier près la cour d’appel de Lyon. sbbourbon@gmail.com.