Vers des modèles d’entreprise au-delà des étiquettes

Les étiquettes de « start-up », « scale-up », TPE, PME, ETI ou encore « grand groupe », que l’on colle (trop) facilement aux entreprises, ont un impact énorme – et pas toujours positif – sur leur fonctionnement, du recrutement jusqu’aux financements. Thierry Luthi, président de l’éditeur français Report One, appelle à créer un monde au-delà des étiquettes.

Thierry Luthi

© jean muc mège

 0

Dans un monde d’entreprise complexe, les étiquettes de « start-up », « scale-up », « PME », « ETI » ou encore « grand groupe » ont la vie dure. Le cerveau humain range facilement ce qui l’entoure dans ces cases. Or, cette représentation de la réalité a un impact néfaste sur l’économie. Arrêter ce catalogage, et inciter chaque entreprise à se poser les questions sur ce dont elle a besoin pour croître, au-delà des solutions « clichés », représente un défi de taille.

Ces étiquettes ont pourtant des sources bien définies, et le marketing en est une majeure. Bien que certaines entreprises en France s’inspirent aujourd’hui des modèles anglo-saxons qui l’érigent en levier de développement et en véritable investissement, le marketing continue à être perçu en France avant tout comme une charge. La grande différence de culture entre le monde européen et anglo-saxon ? Les pertes liées au marketing durant les premières années du développement d’une entreprise sont largement acceptées aux USA, pendant qu’elles posent problème en France. Le résultat ? Entre celles qui misent sur un marketing à l’américaine, et les autres, ancrées dans la tradition européenne, il est aujourd’hui facile de croire en des différences majeures entre certains types d’entreprises. Or, la réalité est bien plus complexe.

Les valeurs, le modèle

In fine, chaque entreprise est modelée par divers éléments. La « start-up » ou la « PME » n’est dans ce sens qu’une « appellation ». Il y a sa raison d’être et ses valeurs, son modèle : le produit, la cible clients, son modèle de ventes, son territoire et son coefficient et partage du risque, avec la nécessaire traduction chiffrée de l’ambition de développement décrite dans le fameux business plan, accompagné par des KPI qui caractérisent l’activité. Puis, arrive la question de son organisation, horizontale ou verticale, et de ses process : la liberté donnée aux salariés, la politique du dresscode ou plus récemment de l’organisation du travail, dont parle brillamment le patron de Netflix, Reed Hastings, dans son livre « La règle, pas de règle » (février 2021). Enfin, viennent les exigences et le degré de responsabilisation des collaborateurs. Tant de critères à analyser avant de cataloguer.

Mais au-delà de ces critères, ce qui caractérise une entreprise c’est la personne qui est à sa tête : un ou une entrepreneur(e). Celui ou celle qui prendra des risques – le plus grand risque étant de ne pas prendre de risque – et qui s’entourera pour arbitrer en permanence, mettant au profit de son entreprise sa capacité d’agilité et de remise en cause permanente. Le livre « Disruption » de Stéphane Mallard constitue une source inspirante sur ce sujet en ce qu’il ouvre de nouveaux champs de réflexion autour du leadership en entreprise.

L’entreprise de demain

Une PME peut ainsi avoir 20 ans et conserver ce fameux esprit « start-up », qui est donc loin de ne concerner que les start-ups elles-mêmes. L’agilité, la capacité à prendre des risques, à évaluer son potentiel interne, le soin porté à son capital humain et ses process, son potentiel de développement avec son business plan à l’appui : personne n’a le monopole des approches qui fonctionnent. Beaucoup de plus grandes structures ont d’ailleurs mis en place cette façon de développer de nouvelles idées. Entre les « lab », les directions de l’innovation en prise directe avec la direction générale, la création de « start-up interne » : les initiatives sont nombreuses et rappellent encore cette impossibilité de cataloguer.

Pourtant, s’il reste un sujet de clivage, c’est celui de la prise de risque, et ses conséquences. Culturellement, les Européens craignent les risques alors que les Etats-Unis notamment sont capables de valoriser un échec. Pour y faire face, il est ainsi important de les évaluer pour mieux les accepter, ou les soumettre à d’autres (investisseurs ou banquiers), selon l’origine des fonds investis. Ce clivage, qui reste très fort en France, continue à avoir de fortes conséquences sur le financement des entreprises, même si des efforts sont faits et les comportements se diversifient petit à petit.

Le droit à l’erreur

Doucement, nous observons l’arrivée de ce droit à l’erreur – entendu comme la capacité à investir dans de multiples entreprises à leur naissance ou déjà en place, pour avoir la chance que l’une ou quelques-unes d’entre elles émergent et rencontrent un réel succès. Mais ces approches, de véritables outils de lutte contre les inégalités de financement, sont encore loin de devenir l’évidence.

Les dirigeants d’entreprise, dont l’auteur de ces lignes fait partie, ont aujourd’hui la responsabilité de contribuer à créer ce monde « hybride », pour reprendre la notion de la philosophe Gabrielle Halpern. Un monde où les start-ups peuvent financer leur croissance avec l’appui des banques, simplement et en toute transparence. Où les dirigeants de PME osent laisser leur costume-cravate, libérer et rajeunir leurs équipes, féminiser les comex. Où les grands groupes prennent des décisions rapidement et responsabilisent davantage leurs salariés. Où le régulateur a un rôle clé pour simplifier, réduire les inégalités de chance (dumping fiscal, par exemple) et prendre des mesures proportionnées. Un monde « au-delà des étiquettes » qui peut être un levier de croissance fort et durable pour nos entreprises et notre pays.

Par MySweet Newsroom
Thierry Luthi est président de Report One.