« L’État veut-il réellement réussir la transition énergétique des logements ? », Stéphane Fritz
Stéphane Fritz, président du réseau immobilier Guy Hoquet aborde la question de la tenabilité du planning de rénovation energétique envisagé par les pouvoirs publics et appelle à une concertation avec tous les acteurs de la chaîne du logement, pour pallier les problématiques et mener à bien ce projet capital.
L’actualité estivale est en surchauffe sur le front de la rénovation énergétique. D’abord les paroles sans équivoque du nouveau Ministre Délégué à la Ville et au Logement, Olivier Klein : non, le calendrier de rénovation énergétique des logements ne sera pas amendé. Ensuite, l’annonce présidentielle de réduire de 10% la consommation d’énergie du pays dès 2024. Et maintenant, le rapport de l’ONRE(1) validant l’existence de plus de 7,2 millions de passoires thermiques au sein de nos logements. En termes de transition environnementale, les chantiers ne manquent pas !
Atteindre la neutralité climatique en 2050, c’est l’enjeu suprême qui guide la politique européenne et française : un objectif non-négociable pour notre avenir et celui des prochaines générations. C’est aussi une aspiration forte des Français : 60% d’entre eux souhaitent une transition énergétique plus rapide(2). J’y souscris en tant que citoyen et en tant que dirigeant d’une entreprise du secteur de l’immobilier : les immeubles produisent 20% des gaz à effet de serre dans notre pays, dont les 2/3 dans le résidentiel(3). Mais le timing au pas de course imposé par le gouvernement pose une question : souhaite-t-il véritablement que la rénovation énergétique des logements soit une réussite ?
Plus de 7 millions de logement concernés à court terme
Nous avons connu, en 2021, les couacs d’un outil de calcul des diagnostics de performances énergétiques (DPE) revu à la hâte, sans véritable concertation avec les professionnels de la filière concernée. Aujourd’hui, grâce à leur intervention, la mesure est plus fiable. Nous devons maintenant anticiper deux échéances : l’interdiction, dès cet été, d’augmenter le loyer des logements classés F et G (les fameuses « passoires thermiques »), puis leur interdiction totale de mise en location, en 2025 pour les biens classés G (et même 2023 pour une partie d’entre eux(4)). Viendront ensuite les biens classés F en 2028. Au total, près de 7,2 millions de logements sont concernés(1), dont 42% de biens occupés par des locataires du parc privé et public(5). Soit quelques 2,5 à 3 millions d’appartements et de maisons qui risquent de sortir du parc locatif dans les 3 à 5 prochaines années.
Tous les propriétaires vont-ils engager les travaux de rénovation nécessaires ?
Le rapport de l’ANAH(6) sur le 1er semestre vient saper le moral des troupes sur ce point : sur les 338 265 logements ayant fait l’objet d’une rénovation via Ma Prime Rénov’, seuls 8% des biens sont mis en location ! L’ADEME(7) elle-même estime que le calendrier tel que défini n’est pas tenable : il faudrait rénover près d’1 million de logements par an pour respecter les délais ! Sans compter l’instabilité permanente des dispositifs d’aide et d’accompagnement, qui changent tous les 6 mois. La dernière en date c’est l’obligation, à partir de janvier 2023, de faire appel à un tiers de confiance « Mon accompagnateur Rénov’ » à partir d’un certain montant de travaux. En réalité, le dispositif concerne seulement les ménages éligibles à une aide de l’ANAH(6) : encore faut-il être concerné et le savoir ! Si l’on ajoute à la difficulté croissante de naviguer dans le système d’aides publiques, le fait de réussir à trouver des entreprises qualifiées et labellisées RGE (Reconnu Garant de l’Environnement, label obligatoire pour bénéficier des aides gouvernementales), nous fonçons droit dans le mur.
Maîtriser les émissions de gaz à effet de serre c’est aussi agir sur le pouvoir d’achat
Depuis la déclaration du Président Emmanuel Macron mi-juillet, il est question de « sobriété énergétique ». L’objectif est louable : réduire de 10% la consommation d’énergie d’ici à 2024. Or, 84% des Français déclarent que le chauffage, l’eau chaude et l’électricité représentent une part importante du budget de leur foyer(9) : la consommation d’énergie est plus que jamais au cœur des enjeux d’un pouvoir d’achat bousculé. Oui mais voilà, rien ne sert de changer de mode de chauffage si l’isolation aussi est défaillante. Alors comment les ménages modestes doivent-ils s’y prendre ? La transition énergétique peut-elle devenir une réponse à la situation sociale ? Je crois qu’une période de crise peut devenir une opportunité : en avançant vers des solutions concertées et finançables pour un logement vertueux, nous pouvons aussi agir sur le pouvoir d’achat des ménages.
Accélérer, d’accord, mais ensemble et de façon réaliste
Dès 2023, entre 140 000 et 400 000 logements – selon les sources(4) – seront concernés par l’interdiction de location. Si nous n’avançons pas de façon organisée, solidaire et avec les bons outils, nous courrons le risque de rater une transition pourtant vitale. Le CNEN(9) alertait encore récemment sur le calendrier jugé « précipité » au regard des « incertitudes persistantes, notamment quant à son financement ». Le second risque majeur c’est l’aggravation des difficultés que connaissent déjà de nombreux Français pour se loger. Au creux du planning imposé par les pouvoirs publics se niche une problématique éminemment sociale.
Le temps nous fait défaut alors que les enjeux nous obligent. Il faut dès à présent rassembler tous les acteurs concernés pour travailler de concert à des actions adaptées et à un échéancier plus réaliste, plus pragmatique et qui demeure ambitieux. Il est possible d’accélérer la transition environnementale à condition d’impliquer tous les maillons de la chaîne du logement : diagnostiqueurs, entreprises de rénovation, de construction, agents immobiliers, administrateurs de biens, associations de propriétaires-bailleurs, établissements financiers et bien entendu Bercy. Le sujet est trop important pour ne pas le traiter dans sa globalité. Mobilisons-nous, vite !
(1) Observatoire National de la Rénovation Énergétique (ONRE). (2) Sondage IFOP pour le Syndicat des Énergies Renouvelables (SER), octobre 2021 (3) Commissariat Général au Développement Durable. (4) logements dont la consommation excède 450kw/m2/an : environ 100 000 logements selon lesprojections d’EX’IM en juillet 2022, 140 000 logements selon le Ministère de la Transition écologique, 400 000 logements selon les projections de l’Union Nationale des Propriétaires Immobiliers (qui tient compte des DPE non-renseignés sur les petites surfaces). (5) FNAIM, Fédération Nationale de l’Immobilier. (6) ANAH : Agence Nationale de l’Habitat. (7) ADEME : Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie. (8) 11ème édition du baromètre OpinionWay pour Qualit’ENR « La perception des Français des énergies renouvelables et de la rénovation énergétique des bâtiments ». (9) CNEN : Conseil National d’Evaluation des Normes