Immobilier : Habiter autrement, réalité ou utopie ?

Pour répondre aux problématiques du logement, de nouvelles formes d’habitat émergent. Mais sont-elles vraiment innovantes ? L’analyse de Sophie Saraga.

Une silhouette d'homme dans la ville de demain

© adobestock

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Conditions d’accès au logement, densité du territoire et crise de la demande

Le taux de vacance ou l’inertie poussée à son paroxysme.

À l’heure des besoins criants des Français en logement, le taux de vacance est le signe patent que le levier de réduction de nos fractures françaises[1], à savoir l’accès au logement, n’a pas encore trouvé de réponse publique efficace.

Paris, capitale de la densité humaine

Paris est au-dessus de la médiane Française, en même temps la 8e capitale la plus dense du monde et la 1re au rang européen selon l’Apur[2]

Face à une difficulté prégnante d’accès au logement en France, il est nécessaire d’interroger deux concepts : quels sont les nouveaux segments de marché tendant plutôt à conserver une valeur d’usage et quels sont ceux qui parlent de valeur d’échange ? Y répondre permettra de comprendre si l’innovation porte en acte une autre façon d’habiter, notamment en :

. réduisant les fractures sociales énumérées plus haut ;

. augmentant les bénéfices de l’usager étudiant, jeune travailleur, senior, parent isolé ou encore bi-résident hebdomadaire[3].

Les grandes métropoles, littoraux, espaces frontaliers et Alpes concentrent les difficultés d’accès au logement

Lien entre la multiplication des besoins en logement et l’augmentation des familles monoparentales, qui représentent 20 % des foyers français[4].


Dans l’hypothèse d’un marché équilibré entre une offre et une demande, on ne fonde plus la théorie de la valeur sur la seule base de l’offre, donc de la production de logement, mais sur l’indicateur de la demande, déterminant principal en bout de chaîne, de cette valeur.

En immobilier résidentiel, on apprend aux négociateurs qu’in fine, c’est l’acheteur qui détermine le « prix de marché » en temps réel. Les parties cocontractantes établissent le « prix conclu », base d’une data opérationnelle pour l’agent, aussi : « La valeur vénale d’un bien est constituée par le prix qui pourrait en être obtenu par le jeu de l’offre et de la demande dans un marché réel au jour de la mutation. » (Cass. com. 6 mai 1986, Chancel, Bull. IV, p. 70)[5].

Enfin, les cycles immobiliers sont relatifs au contexte international, dans une économie globalisée et financiarisée telle que nous la connaissons. En immobilier résidentiel, nous avons évité la bulle, en revanche, nous n’évitons pas le ralentissement des ventes.

En conséquence, si nous prenons la théorie de la « destruction créatrice » de Schumpeter, où « quatre facteurs doivent être pris en compte : un ensemble innovant, un contexte économique favorable, des inventions techniques ou technologiques, un afflux monétaire [6]», alors, peut-être que la solution pérenne à cette crise de l’habiter se trouve dans l’offre proptech qui se développe depuis quelques années, sous réserve de meilleure santé économique.

Les nouvelles formes d’habiter : l’habitat groupé, coopératif et solidaire

Selon Olivier Launay[7], qui dit autre mode d’habiter dit autre choix de société. L’entraide intergénérationnelle, qui caractérise ce mode d’ « être au monde », remplace « l’indifférence polie[8]», la standardisation des programmes au profit d’un habitat dont on s’est approprié la conception et la production. L’exemple de CoopCoteau et de l’Atelier 2015 d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne) est bien connu.

Ce besoin de réinventer le monde ne nous rappelle-t-il pas le système socialiste du kibboutz, émergé cependant dans un autre contexte, mais portant toujours cette idée(al) d’un « monde/homme nouveau ? ».

Par cette idée de collectif inscrit dans l’agencement des espaces communs, dans ce passé revisité par les contingences écologiques et la révolution technologique, n’y a-t-il pas un goût de « c’était mieux avant [9] ? ».

Livré mi-septembre 2022 à Ivry-sur-Seine, le programme Urban Ivry réalisé par le promoteur national Icade recouvre, sur un ensemble mixte de 25 000 m², seniors, étudiants et touristes d’affaires. Tels que définis par Icade, « ces produits divers imbriqués» participent de l’identité du projet. Destinée aux investisseurs avant tout, la niche de l’habitat étudiant est aussi très prisée par les nouveaux acteurs européens dont Dovevivo qui vient de racheter Chez Nestor, ou le Français Colonies qui nous livre sa vision du logement étudiant : « … La raison est simple. Pour un programme neuf de coliving, le ratio entre SDP et surface utile avoisinerait ainsi 97 à 98 % selon

François Roth, co-fondateur de ColoniesLe partage des espaces permet ainsi de créer un effet de levier efficace pour booster la valeur locative au mètre carré. Du coworking au coliving, il n’y a donc qu’un pas. L’industrie de l’immobilier résidentiel se meut peu à peu dans l’économie du partage et semble clairement s’inspirer des codes de la transformation de l’immobilier de bureaux

Aussi, va-t-on vers un basculement d’une valeur d’usage à une valeur d’échange ? Si ceux-là même qui fabriquent nos villes les réduisent à des produits consommables, en tant qu’usagers, ne sommes-nous pas réduits à être « des consommateurs de la ville » plutôt que des acteurs d’une ville durable et responsable ? Habiter autrement au profit du plus grand nombre, plus qu’un effet d’annonce voire de mode, est-elle une réalité vécue ?

[1] Guilluy Christophe, Champs actuel, 2019. [2] Apur, Déplacements dans les villes européennes, 2004, p. 11. [3] Mutations des familles et des ménages : structures, dynamiques spatiales et migrations, in Juliane Deloffre, « On se voit ce week-end ! ». Bi-résidence hebdomadaire et vie conjugale : le cas des professeures des écoles de l’académie de Lyon ». OpenEdition Journals, Espace populations sociétés [en ligne], 2022/1|2022, mis en ligne le 1/3/22, consulté le 16/11/22. http://journals.openedition.org/eps/12621 ; DOI : https://doi.org/10.4000/eps.12621 [4]Les conditions de vie des enfants après le divorce – Insee Première – 1536. [5] Thion Bernard, Valeur, prix et méthode d’évaluation en immobilier, chercheur associé au Cereg, université Paris 9-Dauphine, p. 7. [6] Bechade Alain et Malle Richard, Économie immobilière, Économica, L’immobilier en perspectives, 2016, p. 41. [7] Launay Olivier, Revue Projet 2018/3, n° 364, in Recréer du lien grâce à l’habitat partagé | Cairn.info er [8] Ibidem. [9] Serres Michel, Petite Poucette, Poche Psy, 96 pages.

Par Sophie SARAGA