Deux ans après la crise du COVID-19, le marché du logement neuf francilien plus menacé que jamais
Marc Villand, Président de la Fédération des promoteurs immobiliers d’Île-de-France, fait le point sur l’offre et la demande de logements neufs en Ile-de-France Et son constat est amère …
A l’issue de l’année écoulée, une chose est sûre : les lendemains qui chantent de la promotion immobilière ne sont pas pour demain. En effet, pour la première fois depuis bien longtemps et alors que tous les indicateurs sont au rouge, c’est la Demande qui concentre les inquiétudes des professionnels de l’immobilier. Et pour cause, c’est là le cœur battant du marché, la raison d’être et d’agir de notre profession. Plus inquiétant encore : les besoins en logement ne suivent pas le même mouvement et menacent de rester sans réponse.
Sur ce constat, le malthusianisme politique doit cesser et ouvrir la voie à une politique d’Etat sur le logement, déclinée par territoire, orchestrant l’action de l’ensemble des acteurs pour répondre aux besoins en permettant une production abordable, assurer la bonne distribution géographique de cette dernière, assurer sa bonne ventilation par type de produit (logement sociaux, logement intermédiaires, logements libres, etc.).
Une production toujours à la peine …
L’observatoire du marché immobilier francilien de la FPI Ile-de-France, le CAPEM, comptabilise 23 700 nouveaux logements sur l’année 2022. C’est 100 de plus qu’en 2021, mais toujours 17% de moins qu’en 2019, année pré-électorale, et 36% de moins qu’en 2017.
En construisant des logements collectifs en zone dense – encore 58% de la production en 2022 a été réalisée au sein de la Métropole du Grand Paris – les promoteurs immobiliers franciliens contribuent pourtant à répondre au besoin en logements proche des bassins d’emploi, des transports en commun et de toutes les aménités urbaines, tout en respectant les objectifs de sobriété foncière. Rappelons que seulement 3% de l’artificialisation francilienne observée entre 2012 et 2017 est due à l’habitat collectif.
« La stagnation de la production reste inquiétante et témoigne de l’image toujours dégradée dont pâtie la construction. Il semble toutefois que les discours changent et prennent progressivement la mesure du problème. Il faut désormais prolonger ces discours par des actes fermes permettant de porter une véritable relance, notamment dans la perspective de l’obsolescence de toutes les passoires thermiques franciliennes. On parle de près d’une résidence principale sur deux ! La relance de la construction neuve sera indispensable pour y faire face », alerte Marc Villand, Président de la Fédération des promoteurs immobiliers d’Île-de-France.
Les derniers chiffres du ministère démontrent également que les permis de construire accordés se concrétisent de moins en moins en travaux : en France, en 2022, 150 000 logements sont ainsi restés sur le banc de touche. Les opérations sont prises en étau entre la hausse exponentielle des prix du foncier et l’incertitude des cours des matériaux, ce qui incite à retarder les lancements. Preuve que la crise du logement qui se profile est infiniment multidimensionnelle et nécessite une stratégie d’Etat.
Côté ventes : les franciliens avaient plus acheté en 2020, au plus fort de la crise
Sur l’année 2022, seulement 20 500 logements tous types d’habitats confondus ont été vendus, en baisse de 14 % sur un an et de 46 % comparé à 2019. Le volume chute particulièrement au 4ème trimestre (- 35 % par rapport à 2021).
Ce sont notamment les investisseurs particuliers qui se retirent : le volume de réservations les concernant baisse en effet de 18% sur un an. Ils représentent toutefois encore 37% des ventes totales en Ile-de-France, ce qui reste cohérent avec la moyenne décennale mais marque une baisse par rapport à la moyenne à 5 ans (40%).
En effet, l’environnement économique dégradé, marqué par l’incertitude (inflation, dette…), et le durcissement des conditions d’octroi des crédits (-20% de crédits accordés en 2022) pèsent en effet sur la solvabilité des ménages. « On se retrouve donc avec des taux de désistement qui frôlent les 40% en fin d’année, alors qu’ils plafonnaient à 19% il y a un an. » précise Marc Villand.
« C’est aussi le produit de la dissolution progressive du dispositif Pinel, pourtant essentiel pour permettre à une classe moyenne oubliée de se constituer un petit complément de revenu, au profit d’un Pinel + aux conditions intenables pour les promoteurs. Il est dangereux d’établir une politique du logement sur le remplacement des investisseurs personnes physiques par des investisseurs institutionnels, dont le positionnement est soumis à la conjoncture monétaire », analyse Marc Villand.
Par ailleurs, les ventes en bloc jouent de moins en moins leur rôle de soupape de décompression : le score annuel s’établit à 13 400, contre 20 200 en 2021 et 16 300 en 2020. Elles représentent malgré tout 40% de l’activité résidentielle annuelle des promoteurs privés. Parmi elles, 58% concernent les bailleurs sociaux (7 772 logements) et 22% des ventes de logements intermédiaires (2 948 logements). Rappelons d’ailleurs que, selon l’AORIF, les promoteurs étaient à l’origine de 45% des logements sociaux agréés en 2021.
La part des ventes aux investisseurs institutionnels diminue cependant significativement passant de 34% à 21% en un an, de même que le volume de vente, en retrait de 60% sur un an. « Ce retrait des investisseurs est inquiétant et révélateur de toute l’insécurité qui entoure aujourd’hui un secteur du logement pourtant dépositaire du besoin le plus fondamental de tous. Car si la demande flanche ; le besoin en logement, lui, ne fléchit pas », déplore Marc Villand.
Toujours selon les estimations du CAPEM, l’offre totale à fin 2022 s’établit à 25 200 lots. C’est 4 300 lots de plus sur un an, soit une augmentation de 21%. Selon le rythme actuel de ventes, il faudrait donc 15 mois pour écouler l’intégralité du stock de logements neufs en Île-de-France.
« On a atteint un plafond de verre sur les prix, d’autant plus paralysant que l’inflation et les difficultés de financement contribuent aussi à désolvabiliser les ménages. En bref, le peu qu’on arrive à produire ne s’écoule plus. En fin d’année, le rythme de ventes a atteint un niveau historiquement faible, inédit depuis plus de 20 ans ! », précise Marc Villand.
Résultat : les ventes baissent, le stock gonfle, et le besoin en logement ne trouve pas d’issue …
Au-delà du risque évident pour l’activité des acteurs de la construction, c’est une véritable crise sociale qui se profile. Le marché immobilier ainsi immobilisé décourage en effet les projets de déménagement (visant, par exemple, à fuir une situation de mal logement ou de suroccupation) ou d’investissement (à l’heure où l’incertitude autour du financement des retraites rend celui-ci d’autant plus attractif) et menace notre capacité à assurer un toit décent au plus grand nombre.
En Ile-de-France, la tendance démographique reste à la hausse (pour rappel, ce sont plus de 50 000O nouveaux franciliens à loger chaque année). La Fondation Abbé Pierre estime par ailleurs à 1,3 millions le nombre de franciliens mal-logés en 2022 et à 300 000 le nombre de franciliens sans toit. En résumé, on voit apparaître un phénomène nouveau : la mécanique liant le besoin à la demande est rouillée et menace le fonctionnement de l’intégralité de la chaîne, révélant les ferments structurels d’une crise que l’on pensait jusqu’alors conjoncturelle.
Pour faire face, il faut un cap clair, ferme, concerté et partagé. Nous comptons sur le Ministre du Logement, d’abord, et sur les rédacteurs du futur SDRIF environnemental, ensuite, pour réagir.