Immobilier Mongolie : Le boom du béton étouffe les habitants d’Oulan-Bator

Dans sa jeunesse, Otgoo, un père de famille, courait librement dans les rues de la capitale mongole Oulan-Bator, autrefois peu peuplée. Mais l’actuel boom immobilier enferme aujourd’hui selon lui ses enfants dans une déprimante jungle urbaine.

Vue aérienne de constructions à Oulan Bator pour illustrer le boom de l'immobilier en Mongolie

© BYAMBASUREN BYAMBA-OCHIR AFP

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Dans la ville, les gratte-ciels ont ces dernières décennies peu à peu remplacé les yourtes dans lesquelles les Mongols ont habité durant des siècles, symboles d’une vie nomade aujourd’hui en voie de disparition avec l’urbanisation.

Mais cette frénésie de construction, catalysée par la manne financière des exportations minières, incommode nombre d’habitants, qui disent se sentir noyés au milieu d’immeubles qui évincent peu à peu écoles, hôpitaux et terrains de jeu.

« Quand j’étais enfant, je passais mes journées dehors« , déclare Otgoo. « On avait l’habitude de jouer au foot, de courir (…) dans les grands espaces.« 

« Aujourd’hui, mes enfants ne peuvent plus courir comme on le faisait, parce que vous avez partout des nouveaux immeubles d’habitation.« 

Située entre la Russie et la Chine, la Mongolie regorge de richesses minières. Une manne qui a généré une robuste croissance depuis une décennie dans ce pays d’Asie du Nord-Est, ainsi qu’une forte demande en espaces de bureaux et appartements de luxe.

La population d’Oulan-Bator a explosé au fil des ans, passant d’un demi-million d’habitants dans les années 1990 à plus de deux millions en 2022.

Le développement rapide et parfois désordonné de la ville entraîne d’énormes embouteillages, lesquels font souvent perdre des heures aux habitants qui se rendent à leur travail et en reviennent.

Quant aux infrastructures publiques, elles ont été peu modernisées et de nombreux enfants ont ainsi grandi sans terrains de jeu, expliquent des parents à l’AFP.

« Trop d’immeubles »

Cette politique urbaine laisse par ailleurs peu de place à la rénovation ou à la construction de meilleurs hôpitaux ou écoles, dont beaucoup datent de la période socialiste (1924-1992), lorsque la Mongolie était un Etat satellite de l’URSS.

« Le seul moment où mes enfants ont l’occasion de jouer dehors, c’est le week-end », soupire Ulzii, une mère de trois enfants. La semaine, « ils restent à la maison devant leurs écrans« , souligne-t-elle.

Ce grand débat autour de l’urbanisme d’Oulan-Bator intervient sur fond de campagne anticorruption. Des responsables des deux grands partis politiques sont régulièrement accusés d’enrichissement personnel, alors que le niveau de pauvreté en Mongolie, lui, tarde à régresser.

« On se demande souvent – Mais où sont passés les revenus des exportations minières?« , déclare Achit-Erdene Darambazar, un banquier d’affaires.

« La réponse, c’est l’actuel boom de la construction. On construit trop d’immeubles », estime-t-il.

Le luxueux hôtel Shangri-La a par exemple été construit sur un terrain initialement destiné à accueillir un parc d’attraction pour enfants. Quant aux écoles d’Oulan-Bator, elles sont bondées, avec 50 à 60 élèves par classe en moyenne.

« Il y avait des plans d’urbanisme avant le boom minier, mais ils n’étaient pas particulièrement judicieux« , souligne Anu-Ujin Lkhagvasuren, experte en gestion urbaine.

« Sur des terrains initialement destinés à la construction de décharges publiques, des zones résidentielles très chères ont finalement été édifiées.« 

Oulan-Bator a « copié » l’urbanisme soviétique, qui plaçait les espaces de travail loin des quartiers résidentiels, estime-t-elle. Cette politique visait en partie à sortir les classes populaires des bidonvilles et à les reloger dans des aires suburbaines mieux gérées.

Détournement de fonds et corruption

Mais « les lieux de travail sont désormais centrés autour de la place principale, ce qui entraîne des embouteillages« , souligne Anu-Ujin Lkhagvasuren.

Les choses bougent cependant.

Le maire d’Oulan-Bator a annoncé en 2021 un moratoire sur les permis de construire pour les nouveaux bâtiments jusqu’en 2040 – à l’exception des écoles.

« Quand le pays s’est démocratisé à partir de 1990, les Mongols ont voyagé à l’étranger et vu les grandes métropoles comme New York et Singapour. Ils ont voulu les mêmes gratte-ciel ici« , déclare Achit-Erdene Darambazar, le banquier d’affaires.

Pour beaucoup, la question de l’urbanisme est emblématique de problèmes plus vastes, car l’argent détourné par des responsables politiques est souvent blanchi dans l’immobilier.

L’an passé, le PDG d’une grande entreprise publique d’exportation de charbon a été accusé de détournement de fonds. Selon l’agence nationale anticorruption, la majorité des fonds avaient été investis dans des bureaux et immeubles résidentiels.

« Des responsables politiques corrompus investissent leur argent dans des appartements« , déclare Battsetseg Dorjlkhagva, une conseillère municipale de Bayanzurkh, un des principaux districts de la capitale.

Pendant un an, elle a manifesté contre la construction d’un immeuble de bureaux à Oulan-Bator. Les travaux ont finalement été annulés et une école maternelle est actuellement construite à cet emplacement.

« On n’a plus besoin de grands immeubles« , déclare-t-elle.

« Les terres inutilisées doivent désormais servir à la population.« 

Par MySweetImmo avec AFP