Immobilier : Pourquoi la piste de la transformation de bureaux en logements patine?
Sur le papier, la place de la transformation de bureaux en logements suscite beaucoup d’intérêt mais elle se heurte en 2024 à de nombreux freins reconnaissent les promoteurs, investisseurs, asset managers ou élus. Explications.
![Un immeuble de bureau moderne](https://www.mysweetimmo.com/uy7i_73zhnb/uploads/2023/07/Immeuble-Bureau-MySweetimmo-768x350.jpg)
© adobestock
Quatre ans après les confinements successifs sur fond de crise sanitaire et la généralisation du télétravail, les professionnels ont partagé leurs points de vue et croisé leurs données au salon de l’industrie immobilière (SIMI), du 10 au 12 décembre 2024, à Paris pour identifier la piste explorée de la transformation de bureaux en logements, que ce soit sous forme de surélévation, de rénovation lourde ou de changement d’usage. L’objectif est d’ampleur pour faire face à l’effondrement de la construction neuve marquée par seulement 250 000 mises en chantier en 2024, un « tel niveau » pas atteint depuis les années 1950, à la perspective de 240 000 unités en 2025 et aux actuelles obligations réglementaires (ZAN).
« En plus de la demande d’un projet de loi express qui reprenne toutes les dispositions du logement prises dans le Budget 2025, nous sommes ouverts à toutes les idées pour relancer le logement neuf et simplifier les règles de pratiques urbanistiques », affirme le 17 décembre 2024, Olivier Salleron, président de la Fédération française du bâtiment (FFB), lors de la présentation du bilan 2024 pour le secteur du bâtiment.
« Même si la transformation de bureaux en logements reste une niche tant que l’on n’a pas aménagé le quartier, cette mesure qui s’accélère va permettre de rendre des logements en Français et de faire travailler les entreprises du secteur », reconnaît-il.
De son côté, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), Pascal Boulanger, reste à l’inverse plus mesuré que son homologue de la FFB sur cette piste explorée comme celle de la diversification dans la rénovation de l’ancien ou la reprise de friches ou les résidences seniors : « La rénovation engendre des coûts plus chers que la construction. Ce sont des opérations de requalification urbaine ciblées par des grands groupes qui ne vont pas sauver notre métier de la promotion en plein désarroi. »
L’immobilier de bureau en difficulté avec 5 millions de m2 vides en 2024
Dans ce contexte « cataclysmique » que traverse le logement neuf, l’immobilier de bureau va lui aussi de plus en plus mal et ses besoins ont clairement baissé, par exemple, en région Île-de-France, avec 5 millions de m2 vides en 2024 contre 2,7 millions de m2 vides au quatrième trimestre 2019, selon les données du dernier bilan du Groupement d’intérêt économique Immostat (BNP Paribas, CBRE, Cushman & Wakefield, JLL), le 5 juillet 2024 et avec des taux de vacances records comme 27,3 % sur la première couronne nord, dans les Hauts-de-Seine et la Seine-Saint-Denis contre 2,9 % dans le fameux « QCA », le quartier central des affaires à Paris.
« Un nombre d’opportunités important »
En France, même si « le nombre d’opportunités de transformations n’a jamais été aussi important », selon Joachim Azan, président de Novaxia Développement, la piste explorée de la transformation de bureaux en logements tarde à se développer. La plus récente étude réalisée en 2022 par CBRE révèle que près de 800 opérations de transformations de bureaux en logements ont été autorisées chaque année (en moyenne entre 2013 et 2021), ce qui totalise près de 2 000 nouveaux logements chaque année.
Sous l’impulsion d’Emmanuelle Wargon dès 2021, le Consortium des bureaux de France (CBF) réunissant depuis cette année, La Place de l’Immobilier (société experte de la data immobilière fondée en 2006), la Foncière de Transformation Immobilière (FTI) du groupe Action Logement (5 500 logements en cours de production) et Linkcity, filiale de Bouygues Construction a eu le mérite de publier, le 10 décembre 2024, en amont du SIMI à Paris une première cartographie nationale du parc de bureaux en France.
L’objectif est d’identifier les enjeux par segment de marchés (investisseurs, propriétaires occupants publics comme la Direction de l’immobilier de l’État (DIE) ex-France Domaine, les collectivités, les entreprises ou les PME) car jusqu’à aujourd’hui seules quelques données sur les transactions circulaient entre les mains de courtiers immobiliers.
Deux millions de m2 de bureaux transformables en logements pourraient loger 53 000 habitants à horizon cinq ans
D’après cette étude réalisée à partir de matrices cadastrales, du nombre de permis de construire (PC) et de transactions en cours, il y aurait en France deux millions de m2 d’immeubles de plus de 1 000 m2 entièrement vides de plus de deux ans et sans projet.
« Ces deux millions de m2 qui sont situés, notamment en première couronne, au nord-ouest de Paris, comme Nanterre, Rueil-Malmaison, Clichy, Saint-Denis, Saint-Ouen-sur-Seine, à Paris dans le 9ème, par exemple, ou dans le centre-ville de Lille ou Lyon pourraient loger près de 53 000 habitants à horizon cinq ans s’ils étaient transformés en logements », avance Blaise Horteux, associé fondateur de La Place de l’immobilier et vice-président de chez Stonal. Avant de reconnaître que le phénomène est moins important en régions.
« Si on n’a pas de prix de sortie, on va faire quoi ? »
Après cette phase de constat, place aux interrogations des professionnels de l’immobilier qui restent nombreuses comme l’équilibre financier ou la place du logement à l’heure où la fiscalité des collectivités conduit généralement ces dernières à préférer le bureau même vide.
C’est lors d’une conférence organisée par Paris Île-de-France Capitale économique et entièrement dédiée au sujet de la conversion des bureaux obsolètes en logements, le 17 décembre 2024, que son président Xavier Lépine, ancien dirigeant de La Française et fondateur de Néoproprio-Société des Nouveaux Propriétaires jette un pavé dans la marre :
« La France devrait s’inspirer des États-Unis ou de l’Allemagne pour relever le véritable défi de trouver un modèle économique qui peut transformer des bureaux obsolètes en logements. Mais si on n’a pas de prix de sortie, on va faire quoi ? Réaliser des logements étudiants que l’on n’arrivera pas à vendre ? », alerte Xavier Lépine, ancien dirigeant de La Française, fondateur de Néoproprio-Société des Nouveaux Propriétaires.
Avant d’enfoncer le clou : « Attention de ne pas faire du mauvais logement et de se louper grave comme dirait mes enfants car on n’a pas le modèle économique permettant de le faire ! »
Autre frein principal : le rôle des maires
Par ailleurs, interrogé sur le modèle économique, l’ancien président de CDC Habitat et consultant, André Yché préconise dans un rapport remis en juin dernier aux utilisateurs récalcitrants « une taxation progressive de la vacance de bureaux de plus de 50 % de son montant initial pour toute année supplémentaire d’inutilisation. »
Une proposition toute de suite contestée par Astrid Weil, directrice générale de Groupama Immobilier : « Les investisseurs ont connu de belles années mais cette valeur pour ce qui nous concerne, de même que les autres investisseurs assureurs, c’est de la valeur d’épargne qui a été redistribuée… » « Au bâton, je préfère la carotte à l’image d’un prêt garanti par l’État », signale la dirigeante.
Autre frein principal et pas des moindres : le rôle des maires. Ces derniers n’ont toujours pas digéré depuis le 1er janvier 2023 la suppression de la taxe d’habitation… Pour eux, l’habitat représente un « poste de coûts » important à cause de la construction d’écoles, de crèches, d’infrastructures et autres services publics.
De Julien Denormandie, le ministre du Logement précurseur à une proposition de loi portée par le député Romain Daubié
Dès son arrivée en mars 2018 à la tête du ministère du Logement, Julien Denormandie, alors secrétaire d’État à la Cohésion des territoires a été le premier homme politique à appeler une dizaine de promoteurs (Bouygues immobilier, Vinci immobilier, la Compagnie de Phalsbourg, la Française, Icade, Emerige, Gecina, Spie Batignolles, Novaxia et Kaufman & Broad) à se mobiliser pour intégrer systématiquement la transformation de bureaux en logements dans leur stratégie respective de gestion patrimoniale.
Toutefois, les professionnels emmenés notamment par Joachim Azan, président de Novaxia ont déjà souligné, il y a six ans, les freins techniques et financiers. Les successeurs de Julien Denormandie comme Emmanuelle Wargon, Guillaume Kasbarian et plus récemment Valérie Létard ont ensuite soutenu chacun à leur manière la proposition de loi (PPL) du député (MoDem) de l’Ain Romain Daubié qui vise désormais sous une nouvelle appellation à « faciliter la transformation des bâtiments de destination autre qu’habitation en habitations. » « Ce qui importe, c’est de finir le puzzle afin d’avoir un tableau complet », avait affirmé en mai dernier, l’ancien ministre délégué au Logement, Guillaume Kasbarian.
De son côté, le député Romain Daubié a rappelé ce mardi à la conférence de Paris Île-de-France Capitale économique aux professionnels et élus franciliens : « Un important travail de réflexion est à mener sur l’accueil de l’habitat dans les collectivités. Il faut tout repenser, remettre à plat ! »