Le chanteur, le dirigeant de multinationale et l’agent immobilier

Jean-Luc Brulard, agent immobilier de proximité rappelle aux génies de l’immobilier digital que l’immobilier doit rester avant tout au service de la relation humaine.

Jean Luc Brulard
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Quand le vertige du passage à l’acte pour sa résidence principale

Commençons cette tribune par une anecdote : à mes débuts dans le métier, j’ai eu l’opportunité de « presque vendre » (c’est fréquent – mais pas très nourrissant – dans notre activité de « presque vendre » !), le vaste appartement parisien d’un de nos célèbres chanteurs (avec un couloir rempli de disques d’or), au Vice-Président Europe d’une multinationale bien connue. Souvenir précis, douloureux mais utile à ma formation.

… paralyse un homme d’affaires  international

La négociation fût difficile, (conduite depuis mon lit car paralysé par une vilaine hernie discale) : aux côtés du chanteur, un conseiller technique et un banquier d’affaires (qui s’avéra être une planche pourrie au cours des discussions, mais c’est un autre sujet)… l’acquéreur, lui, força mon admiration par son efficience redoutable : pas un mot de trop, l’essentiel, rien que l’essentiel, et son notaire, aux ordres, avec lequel j’ai finalisé l’offre d’achat un dimanche matin. Quelques jours plus tard, la veille de la signature de la promesse de vente, l’acquéreur m’appelait dans ma voiture pour me dire qu’il renonçait à son acquisition : trop grand, trop cher, trop de doutes avec son épouse d’avoir fait le bon choix… L’homme jusqu’alors si économe en paroles passa près de 30 minutes à s’expliquer, se justifier, s’excuser… Il venait – et moi aussi à cette occasion – de faire l’expérience que sa mécanique, parfaitement au point, rodée pour les affaires et lui offrant des perspectives sans limites dans ce cadre professionnel, avait été remplacée par l’homme, simplement l’homme, avec ses doutes, l’enjeu de ses propres deniers, le partage avec son épouse et sa famille…

L’acquisition, une alchimie subtile

J’ai connu depuis, à de nombreuses reprises, cette situation : à des niveaux financiers divers certes, mais pour chacun en fonction de sa situation, de ses moyens, avec un enjeu comparable.  En immobilier professionnel, les critères sont précis : VAN, TRI, Discounted Cash Flow. Rendement, rendement, rien que le rendement. On peut retrouver ces mêmes critères parfois chez les particuliers-investisseurs les plus avertis, même si souvent, avec les particuliers, ces paramètres sont tout de même un peu contrariés, nuancés par des sentiments personnels quant au bien (situation, qualités intrinsèques..). Dans tous ces cas, les critères sont aisément paramétrables, exploitables par des logiciels toujours plus performants, et maîtrisés pas des opérateurs toujours plus compétents.

On n’élève pas ses enfants dans son portefeuille boursier !

Seulement voilà : on n’élève pas ses enfants dans son portefeuille boursier, et on ne reçoit pas ses amis dans son PEA ! En France en particulier, mais pas seulement, l’acquisition de sa résidence principale est une alchimie faite de critères et de possibilités objectives, mais aussi de sentiments, d’influences familiales et sociales (faut-il aspirer à une Société qui, demain, fera table-rase de toute cette sensibilité ? Et est- ce bien réaliste de l’imaginer à un horizon raisonnable ?) …

Des critères objectifs mais aussi irrationnels

Les professionnels de l’immobilier le savent, le choix final des acquéreurs est souvent bien éloigné des critères initiaux. Pour des raisons d’arbitrage, mais aussi de décantation, de maturation, complétées parfois par notre propre savoir- faire en termes de suggestion : qualités fonctionnelles du bien, qualités des écoles environnantes, notoriété de l’adresse, de l’environnement immédiat, aspect des abords, qualité des vues, optimisation des trajets vers le travail, les écoles et/ou les commerces et services, ressenti à la première découverte, « feeling » avec le voisinage, etc., etc.,… sachant, de surcroît, que chaque individu a sa propre grille d’analyse et de hiérarchisation pour tous ces critères…dont la liste est infinie. Et là, la mise en algorithme se complique sérieusement : car il y a autant d’irrationnel que de rationnel, et que chaque projet de résidence principale est un projet particulier (individuel ou familial).

Le stress du grand saut

Et puis, au final, il y a le moment clé de la prise de décision, mélange d’enthousiasme et de questionnements. Le grand saut… A cet instant, le summum de la reconnaissance pour nous, professionnels, c’est quand le vendeur nous demande : « à ma place, vous accepteriez cette offre ? » mais surtout quand l’acquéreur nous demande : « à ma place, vous achèteriez ce bien ? » : quel parcours ensemble, quelle connaissance mutuelle, quelles confidences, quelle confiance, quelle connivence même pour en arriver à ce stade où le principal intéressé s’en remet à votre avis… Quelle responsabilité aussi que de pouvoir lui répondre clairement et honnêtement, fort de toute son expérience et de son intime conviction que, dans quelques années, ce client vous dira encore :« Merci, nous avions fait le bon choix, grâce à vous ».

L’achat immobilier n’est pas une équation

Alors, je m’adresse à ces jeunes génies, si brillants (je suis sincèrement admiratif) en quête de l’outil digital qui mettra tout cela en équations, avec la volonté d’une invention « disruptive », pour offrir une approche novatrice au service des clients, (« Acheter votre résidence principale en 3 clics ! ») ou bien dans l’espoir de lever quelques millions de fonds et de revendre la Start ’up en décrochant le jackpot… voire en faisant les deux, – autant joindre l’utile à l’agréable : concilier la conscience du service-rendu et le porte-monnaie !

Que les esprits innovants n’oublient pas l’essentiel

Chers esprits créatifs et innovants, poursuivez vos travaux, mettez-y toute votre intelligence et toute l’originalité de votre approche, pour développer des outils digitaux toujours plus performants, mais à condition qu’ils soient au service de la relation humaine. En laissant au professionnel, à l’artisan de proximité, le soin de faire la seconde partie du chemin, celle qui est au cœur de l’humain…

Je sais bien que ma tribune suscitera plusieurs types d’appréciation chez nos startuppers, telles que :

– L’analyse d’un type de l’ancien monde, toujours dans son schéma de pensée obsolète,

– Ou encore l’argumentaire désespéré de quelqu’un qui cherche à tout prix à défendre son
modèle, face aux menaces qui l’entourent,

Mais j’ai la naïveté d’espérer qu’elle pourra en interpeller quelques-uns et les servir dans leur projet, comme le témoignage utile d’un professionnel qui a personnellement participé à près de 600 ventes … et en se souvenant que sur le presque million de transactions immobilières en France 2018, les
deux tiers, exactement, concernaient la résidence principale…

Par MySweet Newsroom