MySweet’Art by Gang Flow : Tartini, Padoue, Napoléon et son trésor de guerre « Vertigo »

Playlist. Chaque mois, Anne-Sandrine Di Girolamo, fondatrice de Gang Flow présente un coup de cœur musical : Le Duo Tartini nous étonne une fois encore de son immense talent. Son disque Vertigo présente au public cinq sonates pour violon et violoncelle de Tartini absolument splendides d’élégance, d’inventivité et de virtuosité.

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Vertigo ? Annabelle Luis explique le choix de ce titre qui est apparu tout naturellement aux musiciens à la fin de l’enregistrement. « A la fin de l’enregistrement, le mot qui nous est venu pour décrire les moments passés était Vertigo. David était vertigineux de prouesses violonistiques et la musique vertigineuse de beauté, d’émotions et de sensualité. Voilà d’où est venu ce titre digne de Hitchcock. »

Tartini, le compositeur aussi connu que méconnu

Le compositeur Giuseppe Tartini est aussi connu que méconnu : les mélomanes l’estiment grandement tandis que son oeuvre fait parfois l’objet de jugements hâtifs ou désordonnés. La faute en revient peut-être à une légende, celle de la sonate des Trilles du Diable, réputée pour sa difficulté extrême. Cette légende la voici : Tartini aurait raconté à l’astronome Jérôme Lalande la genèse de sa pièce. Un pacte conclu avec le diable pendant son sommeil. Tartini prête au diable son violon et entend alors une sonate singulièrement belle et exécutée avec la plus grande intelligence.

Pourtant, l’oeuvre de Tartini ne se réduit pas à cette sonate. Celui qu’on appelle le maître de Padoue et à qui on rend hommage en cette année 2020 à l’occasion du deux cent cinquantième anniversaire de sa disparition était un compositeur prolifique et de génie.D’ailleurs, l’armée française en 1796 ne s’y était pas trompée. Napoléon occupe Padoue et charge Claude-Louis Berthollet d’une mission. Claude-Louis Berthollet est avec Gaspard Monge l’un des « commissaires du gouvernement à la recherche des objets de science et d’art dans les pays conquis par les armées de la République ».

Le Manuscrit 9796 conservé à la Bibliothèque Nationale

En raison du passage de Claude-Louis Berthollet à Padoue, trois épais manuscrits de concertos, sonates en trio et sonates pour violon de Tartini, se retrouvent à Paris. Il s’agit là d’une quantité de musique très importante puisqu’elle représente plus du tiers du corpus écrit par Tartini. De nos jours, cette collection qui porte le nom de Manuscrit 9796 est conservée à la Bibliothèque Nationale.

C’est dans cette collection que le violoniste David Plantier et la violoncelliste Annabelle Luis ont choisi quatre des cinq sonates pour violon et violoncelle qui composent leur tout nouveau disque paru au label Muso. Quatre sonates impressionnantes de virtuosité, d’éloquence et de poésie. La difficulté technique est si joliment mariée à la force du discours et à la puissance de l’inspiration qu’elles viennent tordre le cou à bien des jugements hâtifs sur le compositeur.

Des sonates de la dernière heure et une sonate de jeunesse

Dans ces oeuvres de la dernière heure, Tartini travaille sur la forme en greffant sur le modèle lent-vif-vif des mouvements supplémentaires. C’est ainsi que les sonates sont augmentées de pièces à variations (des aria, menuets et gavotte) qui annoncent le goût de la fin du 18e siècle. Tartini a peut-être soixante quinze ans mais il est plus que jamais créatif et inventif. Pensons aussi à la sonate en imitation de la guitare portugaise qu’on écoute avec délice dans ce disque. Ici, Tartini nous étonne de son talent d’imitateur et de son don pour la fantaisie.

Plus intéressant encore dans ce disque, les deux musiciens ont choisi d’interpréter, à côté de ces oeuvres splendides de la dernière heure, une sonate de la jeunesse de Tartini. Et là… on comprend à quel point Tartini est victime de son propre talent. Bien sûr, il a mis dans cette sonate tout ce qu’il peut inventer pour impressionner, mais l’éloquence et la profondeur d’expression qui caractérisent son travail de la dernière heure sont bien présentes aussi dans cette oeuvre de jeunesse.

Voilà donc un disque qu’on écoute avec bonheur, imaginé et voulu par des musiciens d’extrême qualité capables de présenter le compositeur Tartini dans sa complexité, tout en offrant une très belle heure d’évasion musicale en un monde plus que jamais créatif.

Par MySweet Newsroom
Anne Sandrine Di Girolamo est  fondatrice de Gang-Flow, le média de la musique classique.