Le marché de l’ancien* : nouveau resserrement de l’accès au crédit immobilier

En janvier 2022, les taux des crédits immobiliers étaient excellents. A 1.07 %, ils se maintiennent à leur plus bas niveau depuis la Libération, pour le 10ème mois consécutif d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA. L’analyse de Michel Mouillart, Professeur d’Economie, FRICS.

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En janvier 2022, les taux des crédits immobiliers étaient excellents. A 1.07 %, ils se maintiennent à leur plus bas niveau depuis la Libération, pour le 10ème mois consécutif d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA. Tous les emprunteurs ont donc pu obtenir un prêt à un taux fixe inférieur à l’inflation, ce qui est aussi sans précédent. Et les banques ont encore allongé la durée des crédits accordés qui s’établit maintenant à 20.2 ans en moyenne, contre 13.6 ans il y a 20 ans !

On comprend aisément qu’en dépit de la hausse des prix des logements qui se poursuit, le pouvoir d’achat-logement des ménages n’ait jamais été aussi élevé et qu’il progresse encore dans 75 % des grandes villes de plus 100 000 habitants[1].

En proposant de telles conditions de crédit aux ménages, les banques cherchent en fait à limiter les conséquences du durcissement des conditions d’octroi des crédits aux particuliers imposé par la Banque de France et dont la stricte application affecte fortement l’attractivité de leurs offres. Néanmoins, cela n’est plus suffisant pour permettre à de très nombreux ménages de réaliser leur projet d’achat. Et, confirmant le décrochage du marché de l’ancien qui s’était amorcé durant l’été dernier, la production de crédits à l’ancien recule encore.

Une année 2021 en demi-teinte

Pourtant, pour de nombreux observateurs des marchés immobiliers, le niveau des crédits octroyés en 2021 n’aurait jamais été aussi élevé. Reprenant le niveau de la production régulièrement publié par le « Mensuel de la Banque de France »[1], ils citent un montant de 225 Mds d’€, hors les renégociations, contre 192 Mds en 2020 (193 Mds en 2019). Cependant, comme l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) a récemment permis de le vérifier[2], afin de connaître la production de crédits immobiliers aux particuliers, il convient de corriger l’estimation précédente à raison des crédits aux SCI et de soustraire les rachats de crédits et les prêts relais : ces 3 éléments ayant représenté près de 18 % du chiffre de la Banque de France, en 2020 (37 % si on tient compte des renégociations) ! Le montant des crédits immobiliers aux particuliers aurait donc été de « seulement » 185 Mds d’€ en 2021, sachant que cela correspond à des contrats signés, donc pas forcément décaissés.

Dans ces conditions, d’après l’Observatoire de la Production de Crédits Immobiliers (OPCI), ce sont 135 Mds d’€ de crédits qui ont permis de financer les achats de logements anciens réalisés par des particuliers en 2021 comme en 2019, mais au-delà des 122 Mds accordés durant une année 2020 fortement impactée par le déclenchement de la crise sanitaire.

Dans ces conditions, la production de crédits à l’ancien a bien progressé de 10.3 % durant une année 2021 de rebond : mais alors que les prix de l’ancien se sont accrus de plus de 5 % depuis deux ans, le nombre de logements financés a en fait diminué de 5 % depuis 2019.

Les particuliers ont alors financé 745 000 achats de logements anciens à crédit, contre 785 000 en 2019, d’après l’Observatoire du Financement du Logement) de l’Institut CSA ! Ainsi, pour parvenir au 1.2 million de logements anciens qui auraient été achetés par des particuliers en 2021, il n’en reste qu’un peu plus de 400 000 à trouver[4]. Et au total, 2021 a été une année de rebond, donc une bonne année après le repli du marché de 2020, mais certainement pas cette année exceptionnelle que beaucoup ont décrit … sauf à imaginer qu’ex nihilo les ménages sont devenus suffisamment riches pour ne plus avoir à recourir au crédit. 

Et une production de crédits immobiliers toujours à la peine

Car dans les faits, depuis 2019, le resserrement de l’accès au crédit décidé par la Banque de France a pesé sur le dynamisme du marché de l’ancien. D’ailleurs, bien qu’ayant fait preuve d’un certain entrain, la production de crédits à l’ancien qui avait pu laisser espérer une année de reprise durant le 1er semestre s’est essoufflée dès l’été. La reprise n’était qu’un rebond !

Par exemple, d’après la Banque de France, le nombre de prêts à l’ancien mis en force (étant entendu qu’un achat de logement ancien mobilise au moins deux prêts dans près de 40 % des cas) durant le 1er semestre 2021 qui a pleinement bénéficié du rebond avait augmenté de 8.6 % en glissement annuel. Mais le dynamisme du marché avait été artificiellement entretenu par une offre bancaire se préparant à la transposition dans la règlementation du resserrement des critères d’octroi des crédits (transposition initialement prévue pour juillet 2021, avant d’être reportée au 1er janvier 2022), jusqu’à devenir juridiquement contraignant. Dans ces conditions, à partir de juillet le rythme d’évolution de la production a rechuté et le recul du marché s’est poursuivi durant tout le 2nd semestre : avec un nombre de prêts à l’ancien en recul de 10.3 % en glissement annuel. Et d’ailleurs, le nombre de prêts mis en force durant l’ensemble de l’année 2021 a affiché un recul de 6.8 % par rapport à l’année 2019. 

Et dès le début de 2022, alors que la stricte application des recommandations du HCSF est devenue la norme, le nombre de prêts accordés a de nouveau reculé, d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA : avec en janvier, – 10.8 % en glissement annuel.

L’année 2022 ne commence donc pas forcément très bien. Ce qui, il est vrai, la distingue de 2021 qui avait bien commencé, mais pas très bien fini.

Avec une transformation de la structure du marché qui se renforce

Cette évolution de l’activité du marché des crédits immobiliers à l’ancien est cependant assez différente suivant l’angle d’observation retenu : car si le nombre de prêts accordés baisse nettement en janvier, le niveau de la production progresse encore un peu, de 0.5 % en glissement annuel.

En effet, le resserrement des conditions d’accès au crédit affecte encore plus qu’auparavant les ménages les moins bien dotés en apport personnel : et déjà, en 2021, nombre d’entre eux avaient été contraints à l’abandon de leurs projets d’achat de logements anciens. Ainsi les revenus des ménages qui restent sur le marché progressent nettement plus rapidement que par le passé (en janvier, + 3.0 % en glissement annuel, après + 0.8 % en 2021), d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA. Et comme ces ménages sont ceux qui réalisent les projets immobiliers les plus ambitieux (en termes de prix, de localisation ou de qualité du bien acquis), la tension sur le coût des opérations ne se relâche pas : la hausse des prix se renforce même, avec en janvier, + 8.4 % en glissement annuel (après + 5.0 % en 2021). Or, ces ménages sont ceux qui empruntent les montants les plus élevés de crédit : donc, si le nombre de prêts accordés recule, ce n’est pas pour autant que le niveau de la production baisse !

Pourtant, le niveau de l’apport personnel s’élève de plus en plus rapidement (+ 14.0 % en glissement annuel, après + 11.6 % en 2021). Cette remontée de l’apport personnel constatée depuis la recommandation du HCSF de décembre 2019 (plus de 35 %, au total) pèse de plus en plus lourdement sur le dynamisme du marché des crédits et contrarie la réalisation des projets immobiliers nourris par de très nombreux ménages. D’autant qu’une application des recommandations désormais stricte devrait renforcer les tendances au découragement d’une partie des candidats à l’emprunt immobilier. Alors que cette remontée de l’apport personnel signifie simplement que ceux qui restent sur le marché sont bien mieux dotés à cet égard que ceux qui ne peuvent plus y rentrer !

Toutes ces évolutions sont en train de bouleverser la dynamique d’évolution du marché de l’ancien. Et tout laisse à penser que leurs conséquences ne seront probablement pas celles auxquelles beaucoup s’attendent lorsque, dans la droite ligne des déclarations de la Banque de France, ils expliquent qu’ainsi les emprunteurs seront mieux protégés contre eux-mêmes, que le surendettement sera maitrisé, que les risques de défaut seront réduits, … Car en fait, cela revient à accepter le principe idéologique selon lequel seuls les ménages aisés (et peut-être les revenus moyens, s’ils disposent d’une épargne préalable suffisante) peuvent devenir propriétaires ou investir dans l’immobilier locatif. Mais sans expliquer où tous les autres pourront se loger !

*Le marché des crédits immobiliers examiné ici est celui des particuliers résidents : donc, hors les entrepreneurs individuels (commerçants, artisans, professions libérales … y compris pour leurs opérations mixtes) et les non-résidents. Il ne concerne que les crédits accordés afin de financer une opération immobilière : donc, hors les renégociations et les rachats de crédits ; mais aussi hors les prêts relais ou les paiements de soulte, par exemple.

[1] « Immobilier : Des prix des logements élevés, mais un pouvoir d’achat-logement au plus haut ! », MySweetImmo, 4 janvier 2022. Et aussi : « Immobilier : Un pouvoir d’achat-logement en progression dans les grandes villes », MySweetImmo, 24 janvier 2022. [2] « Crédits aux particuliers – décembre 2021 », Banque de France, Stat Info, 4 février 2022.   [3] « Suivi mensuel de la production de crédits à l’habitat », ACPR, 10 janvier 2022. [4] « Marché de l’ancien : 1.2 million de transactions financées comment ? », MySweetImmo, 9 novembre 2021.

Michel Mouillart, Professeur d’Economie, FRICS