Immobilier : Se loger sur le littoral, mission quasi impossible pour la population locale
Bretagne, Pays Basque, Charentes-Maritimes, Normandie, Corse… Partout, la flambée des prix de l’immobilier sur le littoral aboutit à une éviction des populations locales.
« Personne n’a rien vu venir… Depuis le Covid, le littoral est devenu un lieu de villégiature pour vieux riches« , lance Marie Gauteur, « paysanne » de 41 ans, une habitante du village de Nostang, près de Lorient (Morbihan).
Contrainte par son bailleur de libérer le T3 qu’elle loue depuis quinze ans, cette maman solo est en colère « contre les boomers et Airbnb« . Après neuf mois de recherche, elle n’a trouvé « qu’un mobil-home à 650 euros mensuels« .
« Depuis le Covid, les prix ont flambé, les gens se jettent sur l’habitat côtier comme des charognards et achètent sur photos« , témoigne la pépiniériste, qui constate aussi « une spéculation sur les terres agricoles littorales« .
A Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), Sébastien, travailleur social de 28 ans, a dû revenir habiter chez ses parents, qui vivent à une trentaine de kilomètres, faute de logement abordable dans la cité corsaire. « Un studio, c’est 500-600 euros et on nous fait signer les nouveaux baux mobilité, qui peuvent aller jusqu’à 10 mois, en nous demandant de quitter les lieux pour la Route du Rhum« , s’emporte le jeune homme.
Interrogée, la Fédération nationale de l’immobilier (Fnaim) a constaté une augmentation des prix de 24,2% entre mai 2020 et avril 2022 dans 480 stations balnéaires, contre 14,6% pour la France entière.
Recherche d’espace, de nature et d’évasion… « Depuis le Covid, le marché de la résidence secondaire s’est envolé, faisant grimper par porosité celui des résidences principales« , analyse Jean-Marc Torrollion, président de la Fnaim.
Dans le même temps, « la demande locale est restée soutenue, notamment au Pays basque où la forte pression démographique naturelle n’a pas été anticipée par les élus« , poursuit-il, évoquant une équation « explosive« . En Normandie, les prix sont même passés de +5,2% avant la crise à +30,6% après.
Lorsque les résidences ne sont pas uniquement secondaires, « les petits Parisiens remplissent à nouveau les écoles« , note Pierre Lemée, notaire près de Deauville (Calvados).
Mais la plupart du temps, ces arrivées massives de population « relèguent à des dizaines de kilomètres dans l’arrière-pays » les salariés qui travaillent sur la côte, reconnaît-il.
« Dépossession »
Jusqu’ici limitée à la façade sud, la pression foncière gagne à présent les littoraux atlantiques et suscite la mobilisation de dizaines de collectifs.
« On a des travailleurs qui dorment dans leur voiture« , lâche Txetx Etcheverry, représentant de l’association basque Alda, qui reçoit « 80 à 90 dossiers par semaine » de demandes d’accompagnement.
A La Rochelle, la mairie vient d’interdire les meublés touristiques de moins de 35 m2 pour ne pas pénaliser le logement étudiant. « Depuis le Covid, c’est devenu un marché de spéculation, mais on ne peut pas discriminer celui qui arrive dans le département« , soupire Pascale Leyon, agente immobilière.
Pour le géographe Gérard-François Dumont, la situation n’est pas nouvelle mais s’aggrave. « Depuis les années 1990, on a un phénomène de litturbanisation et d’héliotropisme avec des transferts des populations des métropoles vers les bords de mer jugés plus agréables« , explique-t-il. Plus récemment, l’ouverture de liaisons TGV vers l’ouest, puis le Covid et le développement du télétravail ont accéléré le processus.
« En Bretagne, 53% des arrivants ont plus de 60 ans et 80% vont sur les littoraux, où ils déstabilisent le marché immobilier du fait de leur plus fort pouvoir d’achat« , abonde le géographe Yves Lebahy, qui décrit le littoral comme une « immense maison de retraite« .
La Corse, qui cumule taux de pauvreté élevé, solde migratoire très fort et résidences secondaires trois fois plus nombreuses que sur le continent, enregistre le même phénomène lié au Covid. Depuis un an, les incendies criminels visant principalement des résidences secondaires de « continentaux » s’y multiplient.
« On assiste à une côte d’Azurisation du littoral qui aboutit à l’éviction des classes populaires et à un sentiment de dépossession« , observe le géographe Christophe Guilluy, qui évoque un nouveau « Mur de l’Atlantique » dans son essai « Les Dépossédés ».
Mi-novembre, le gouvernement s’est saisi du sujet en lançant un groupe de travail.
Parmi les solutions réclamées, Gaël Roblin, membre d’un collectif costarmoricain, préconise « un classement du littoral breton en zone tendue, ce qui permettrait d’encadrer les loyers et de surtaxer les résidences secondaires« .
L’Association des élus du littoral (Anel) demande de « supprimer les niches juridiques et fiscales qui favorisent la location saisonnière« , voire de réserver des zones « dédiées au logement permanent » dans les documents d’urbanisme.