Immobilier : « L’État veut-il vraiment de l’habitat inclusif en France ? », Christophe Clamageran
Christophe Clamageran, président de Mobicap, fait part de son incompréhension quant à l’attitude de l’Etat concernant l’habitat inclusif, alternative au maintien à domicile et au placement en établissements spécialisés.
Aucune dissonance dans les discours publics sur ce point, et cette unanimité est assez rare pour qu’on la note : l’habitat inclusif est une solution largement souhaitée pour loger les personnes âgées et en situation de handicap.
Alternative efficace au maintien à domicile et au placement en établissements spécialisés, cette nouvelle forme d’habitat représente une réelle réponse pour loger cette partie grandissante de la population française tout en offrant un accompagnement spécifique selon les situations et les besoins, dans le réalisme économique, en mobilisant les aides auxquelles ces personnes sont éligibles.
Pourtant, les obstacles règlementaires et financiers tous azimuts se multiplient, comme si les pouvoirs publics voulaient freiner les initiatives sinon dissuader les volontés d’investisseurs et de promoteurs. Inventaire, non-exhaustif, de ces contraintes contre-productives.
Des cahiers des charges absurdes qui compliquent les initiatives d’habitat inclusif
Lorsqu’il s’agit des réglementations en vigueur (obligations de principe nationales ou spécificités locales), la lecture des cahiers des charges imposés aux promoteurs peut faire sourire d’aberration. Ainsi, dans certaines communes, les constructions destinées à de l’habitat inclusif doivent être équipées d’un local à poussettes, qui est un luxe même dans les résidences classiques de standing…et surtout dont l’usage sera statistiquement nul eu égard aux occupants des logements concernés !
Irrationnel encore lorsque la règlementation européenne cette fois, transposée en droit interne, oblige depuis le 1er janvier 2023 les promoteurs à prévoir un ou plusieurs locaux à vélos. Pour un immeuble d’une cinquantaine de logements, on parle donc d’une dizaine d’emplacements ! On mesure l’inanité de la mesure pour des populations par définition extrêmement peu mobiles et inaptes en général à se déplacer en deux roues.
Dans le même esprit, dans certaines villes, il est demandé dans les plans locaux d’urbanisme d’associer à chaque logement deux places de parking. Il est d’une évidence criante que la plupart des résidents, d’un âge supérieur à 75 ans ou à mobilité réduite, n’en auront pas l’utilité. Une contrainte dispensable, qui devrait pouvoir être renégociée en accord avec les services municipaux compétents. Il n’en est rien.
Mobicap, spécialiste de l’habitat inclusif, dont les réalisations ont fait leurs preuves partout en France, a d’ailleurs tenté d’obtenir qu’à ces emplacements de parkings soient substituées des places pour fauteuils roulants électriques. Un refus catégorique a été opposé à l’entreprise puisque le strict respect du cahier des charges conditionne l’obtention du permis de construire.
Des normes environnementales inadaptées aux prérequis de l’habitat inclusif
La liste des incongruités n’est pas close. D’un point de vue mobilité et accessibilité, il apparaît impératif que l’ensemble des ouvrants des logements soient motorisés autant que possible. De même la présence de deux ascenseurs plutôt qu’un seul, pour assurer la fluidité des déplacements des locataires ne devrait pas poser problème.
Pourtant, ces types d’équipements sont battus en brèche par les règlementations environnementales, qui y voient la source de consommations d’électricité majorées incompatibles avec les labels écologiques tels que la norme RE2020, référence en vigueur pour toute construction. Or, les banques n’accordant pour ainsi dire plus que des green loan, à savoir des crédits verts, et rejetant les projets qui pourraient à leurs yeux compromettre leur appréciation RSE, financer une opération d’habitat inclusif relève de plus en plus fréquemment de l’impossible.
Le nouveau défi de la requalification ERP pour raisons sécuritaires
Début 2023, à la suite d’un cas de jurisprudence sur une résidence inclusive au Mans, le principe de requalification ERP (immeuble pouvant recevoir du public) pour raisons sécuritaires est reconnu pour ces types d’actifs. En mars 2023, l’administration stabilise la doctrine quant aux ERP : au-delà de six logements en matière d’habitat inclusif, l’immeuble est assujetti aux normes qui s’imposent aux établissements recevant du public.
Cette décision, applicable aux prochains projets tout comme à ceux déjà livrés, implique cependant des évolutions de plan et d’équipements extrêmement onéreuses, en particulier pour les programmes en cours ou livrés.
En effet, cette mise aux normes ERP pose deux problèmes rédhibitoires. Tout d’abord, elle ne peut pas être systématiquement satisfaite techniquement. L’élargissement des couloirs, des escaliers, la création de sas d’attente en vue de l’évacuation en cas d’incendie par exemple mèneraient non pas à des modifications mais à des démolitions et à des reconstructions, les structures étant impactées.
Ensuite, cette mise aux normes n’est pas viable sur le plan économique : l’obligation d’un veilleur de nuit, par exemple, induit un coût de fonctionnement inenvisageable pour les propriétaires bailleurs, opérateurs sociaux ou privés sans distinction. Le risque est que ces gestionnaires abandonnent l’idée d’inclusivité et privilégient des locataires ne les menant pas à des dépenses d’adaptation aussi lourdes. Pour les professionnels engagés dans l’habitat inclusif, la norme actuelle de ces immeubles, relative à la sécurité des « bâtiments d’habitation collectifs » est déjà très exigeante et elle suffit à garantir l’intégrité physique des locataires, dont la préoccupation a bien sûr été obsessionnelle chez les promoteurs depuis l’origine du concept.
Il est urgent d’agir
Il est urgent que les pouvoirs publics, nationaux et locaux, se penchent sur ce sujet majeur et dénouent le paradoxe : on ne peut affirmer défendre le développement de l’habitat inclusif et le corseter dans des carcans règlementaires excessifs et contradictoires, aux conséquences économiques assassines.
Au passage, l’État a trahi sa parole : lorsqu’en 2017 le concept d’habitat inclusif est né juridiquement, Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, avait assuré qu’aucune contrainte nouvelle ne viendrait alourdir la barque, pour que l’élan de production ne soit pas cassé. Elle l’a réaffirmé en 2021 avec force. On est loin du compte. Il est donc primordial qu’une réelle politique, cohérente et courageuse, de l’habitat inclusif en France soit menée.