« COVID-19: Entre crises et guerres, l’effondrement des marchés immobiliers », Michel Mouillart

Michel MOUILLART, Professeur d’Economie, FRICS livre en exclusivité pour les lecteurs de MySweetimmo son analyse sur les conséquences de la crise du coronavirus. Il s’exprimera ici à intervalle régulier dès lors que la situation l’exigera. Voici le 2ème épisode de sa chronique « Covid-19: Entre crises et guerres ».

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Avant la tempête

Dès décembre 2019, la pression de la demande a commencé à s’alléger sur le marché de l’ancien et, au-delà des évolutions[1] constatées d’un mois sur l’autre, le niveau de la construction a confirmé sa dégradation. Les incertitudes nées de la réforme des retraites et le durcissement des conditions d’octroi des crédits voulu par la Banque de France[2] ont rapidement écarté du marché une partie des candidats à l’achat d’un logement, au premier rang desquels les ménages en primo accession à la propriété.

La dégradation de la conjoncture immobilière s’est alors renforcée dès le début de 2020, la mise en œuvre des recommandations du Haut Conseil de Stabilité Financière impactant très sensiblement la production de crédits particuliers. Par exemple en février, le nombre de compromis signés dans l’ancien avait baissé de 4.2 % sur un an (en niveau trimestriel glissant), d’après le Baromètre LPI-SeLoger : et le repli s’est amplifié depuis le début de l’année, avec – 7.5 % pour les deux mois de janvier et février (en glissement annuel). Et sur les deux premiers mois de l’année, les ventes des constructeurs de maisons individuelles ont été de 5.3 % inférieurs à leur niveau habituel à cette période de l’année[3], en dépit du rétablissement du bénéfice du PTZ aux zones B2 et C. La perte de dynamisme d’une offre de crédits contrainte par les décisions de la Banque de France explique largement cela : par exemple, le nombre de prêts bancaires accordés pour financer des opérations immobilières dans le neuf a diminué de 17.5 % au cours des deux premiers mois de 2020 (en glissement annuel), d’après l’Observatoire Crédits Logement/CSA[4].

Et pourtant, la hausse des prix n’a pas faibli en février : par exemple dans l’ancien, les prix signés (mesurés en niveau annuel glissant) ont augmenté de 5.2 % sur un an en février, contre + 3.5 % il y a un an à la même époque[5]. Une progression aussi rapide des prix ne s’était pas observée depuis le début de l’année 2012, autant sur le marché des maisons que sur celui des appartements. Car si la demande recule en réponse aux difficultés de financement de l’accession à la propriété, l’offre nouvelle se réduit aussi avec la baisse des reventes. Les déséquilibres de marché perdurent donc. Et l’éventuelle adaptation des ambitions des vendeurs à cette nouvelle donne n’y change rien : la sortie des ménages jeunes et modestes du marché déplace mécaniquement la courbe des prix vers des valeurs plus élevées.

Dans ces conditions, et avant que les conséquences de la crise sanitaire du Covid-19 ne se diffusent sur l’économie française, le scénario de l’évolution des marchés immobiliers le plus probable était celui d’une poursuite de la dégradation de l’activité :  une baisse des achats de logements anciens par les particuliers d’au moins 60 000 unités (- 6.5 % sur l’année), un nouveau recul des mises en chantier (de près de 15 000 unités) entrainées sous la barre des 400 000 commencés (de l’ordre de 396 000 unités) et un recul de l’ordre de 10.5 % des offres acceptées (hors les rachats de créances).

Mais avec l’arrivée de la pandémie, l’entrée en récession de l’économie française et son impact sur le pouvoir d’achat des ménages et leur moral[6], les marchés immobiliers vont être (très) lourdement impactés.

Retour sur les effondrements du marché de l’ancien

Revenant sur l’état de l’économie française confrontée au Covid-19 et sur les analyses présentées jusqu’alors par le Gouvernement[7], le Ministre de l’Economie a annoncé des semaines particulièrement difficiles[8], lors de sa conférence de presse du 24 mars, précisant qu’il n’y a aujourd’hui « pas d’autre élément de comparaison que la grande dépression de 1929 » ! Les prochaines semaines, voire même les prochains jours, vont permettre de préciser le scénario de la crise économique qui va être sévère[9] : avec une perte de probablement 10 % de PIB au 1er semestre et peut-être même de 15 % si, comme cela devient de plus en plus probable, la pandémie désorganise largement le système sanitaire et si la durée du confinement se prolonge très probablement au-delà du 15 avril (et/ou qu’il se durcit) : en 2020, la perte d’activité se situerait alors entre 5 et 6 %, voire entre 8 et 9 % dans le scénario le moins favorable[10].

Jamais depuis la Libération la France n’aura eu à connaître un tel choc économique : lors de la crise économique et financière internationale des « subprimes », en 2009, le PIB n’avait baissé « que » de 2.7 %. Le secteur du logement qui jusqu’alors n’a pas semblé bénéficier d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics va donc souffrir !

Le marché de l’ancien qui n’a pu s’appuyer sur des soutiens publics qu’à de rares et courtes reprises au cours des 40 dernières années, a eu à connaître trois crises majeures dont l’intensité en a révélé la brutalité, comme l’évolution du taux de mutation au sein du parc de logements détenu par les ménages[11] l’illustre :

  • entre 1989 et 1992, tout d’abord. L’économie française entre en récession à la fin de 1989, puis elle va subir les conséquences de la Guerre du Golfe pour, enfin, subir à l’automne 1992 le contre coup de la sortie de l’Italie et du Royaume-Uni du Système Monétaire Européen. Le marché de l’ancien va alors être déstabilisé par la dégradation des conditions de crédit (remontée des taux des crédits immobiliers et réduction de la durée des prêts accordés), par la détérioration du pouvoir d’achat et la remontée du chômage, mais aussi par la crise des établissements bancaires et financiers fragilisés par la crise immobilière. Le nombre d’achats de logements anciens par les ménages chute de 23 % entre 1989 et 1992 : son niveau annuel diminue de 125 000 unités ;
  • entre 2007 et 2009, ensuite. Avec le déclenchement de la crise des « subprimes », le secteur bancaire doit baisser sa production de crédits immobiliers à l’ancien, en dépit du Plan de Relance décidé par la Président Sarkozy de décembre 2008 et des mesures de soutien au financement des banques décidées par le G7 en octobre 2008 : entre le 4ème trimestre 2007 et le 3ème trimestre 2009, le nombre de prêts accordés recule de 32 % (en niveau annuel glissant). Les achats de logements anciens s’effondrent entre 2007 et 2009, perdant 32 %[12] et 235 000 unités en niveau annuel ;
  • entre 2011 et 2012, enfin. Le choc a été rapide mais brutal : toutes proportions gardées, ce fut la crise la plus marquée que le marché de l’ancien a eu à supporter au cours des 40 dernières années. Il fait suite à la décision du Ministre délégué chargé du Logement de recentrer principalement le bénéfice du PTZ sur le marché du neuf. Le nombre de logements anciens acquis par les ménages va alors reculer de 150 000 unités en un an, soit une baisse de 22 % !

Ces trois crises ont donc été de (très) grande ampleur et deux d’entre-elles ont duré au moins deux années. Avec une conséquence qu’il convient de ne pas négliger, le blocage du marché de la revente et l’assèchement partiel de la demande de logements neufs qui y est habituellement associée ont renforcé l’effet de contagion de ces crises à l’ensemble de l’économie immobilière. En longue période en effet (au cours des 15 dernières années, plus précisément), de l’ordre de 50 % des logements anciens présentés sur le marché ont été revendus par des ménages[13] qui, dans les semaines qui suivent, ont racheté un autre logement : dont un logement neuf pour un tiers d’entre eux (avec une répartition à peu près égale entre promotion immobilière et constructeurs de maisons individuelle). En outre, les ménages qui revendent s’efforcent (en général) de réaliser au mieux la vente et participent (probablement plus activement que les autres) à la hausse des prix des logements anciens : d’autant qu’ils espèrent la plupart du temps acquérir un logement plus spacieux, mieux situé, dans un immeuble de meilleure facture, plus chers, … et qu’ils ne sont pas souvent près à vendre moins chers pour contenir l’indice des prix ! Aussi n’est-il pas étonnant de constater qu’en période de crise les prix des logements anciens stagnent ou reculent (souvent lentement) puisque les produits les plus chers (au m²) sont très souvent ceux qui sortent en premier du marché. Surtout que les ménages concernés ne sont pas forcément ceux qui sont les plus mal logés, qu’ils peuvent différer leurs projets immobiliers : sauf bien sûr en cas d’obligations professionnelles ou familiales.

Ainsi, par exemple, d’après l’indice des prix INSEE-notaires (en retard sur le marché de plusieurs mois), les prix de l’ancien ont reculé de 9.5 % entre le 3ème trimestre 2008 et le 2ème trimestre 2009 sur un marché qui s’effondrait. Ils ont cependant nettement rebondi durant les deux années qui ont suivi (+ 15.3 % entre le 2ème trimestre 2009 et le 3ème trimestre 2011), avec la reprise des achats (+ 38 % entre 2009 et 2011, soit + 190 000 ventes) et le retour des revendeurs et des accédants les plus aisés. Car en général, en période de forte crise, ne restent sur le marché que ceux qui se logent par besoin et/ou les ménages modestes et très modestes qui sur de très nombreux territoires ne peuvent qu’accéder à la propriété faute d’une offre locative accessible (en quantité et en taux d’effort) … ce qui évidemment contribue à tirer vers le bas les indices de prix !

Un secteur de la construction très exposé

Mais le rétablissement du marché de l’ancien peut être lent, long si un coup de pouce des pouvoirs publics ne vient pas aider à son rétablissement … et même si la situation économique le permet. Ainsi durant trois années, de 1993 à 1995, le retour des acheteurs va se faire attendre et les prix vont stagner, voire s’éroder doucement, les vendeurs attendant le rétablissement du marché pour présenter leurs biens à la vente, alors que les acheteurs prennent le temps nécessaire pour que l’offre revienne à la normale en quantité et en qualité : car ce n’est qu’à partir de 1997 que le marché va véritablement se ressaisir. De même, le marché ne va vraiment commencer à se ressaisir qu’à partir de 2015 et les prix vont s’effriter (- 6.8 % de 2011 à 2015, soit – 1.7 % par an en moyenne) : le renouveau du marché n’intervient qu’à partir de l’été 2015, avec dans un premier temps l’amélioration des conditions de crédit, puis avec l’assouplissement des conditions d’octroi des prêts qui va porter son activité au zénith en 2019.

En revanche, le marché de l’ancien a bénéficié de l’impact du Plan de Relance de décembre 2008 préparé pour sortir l’économie de la crise des « subprimes ». Les achats de logements anciens ont alors rapidement rebondi (+ 38 % entre 2009 et 2011), le marché de la revente s’est dégrippé avec un nombre de logements concernés en augmentation de 44 % en deux ans (après un recul de 49 % entre 2007 et 2009) et les prix se sont redressés.

Mais le Plan de Relance avait aussi (et notamment) été préparé afin d’éviter que le secteur de la construction ne s’effondre. L’analyse faite alors par la Ministre du Logement, Christine Boutin, avait mis en avant trois raisons pour cela :

  • sauvegarder l’appareil de production du secteur : les entreprises (les promoteurs, les constructeurs de maisons individuelles et les artisans) et leur matériel de production, mais aussi et autant les salariés. Le choix avait été fait dès l’été 2002 de relever le niveau de la construction pour sortir de trop longues années d’atonie. Il avait été accompagné par le lancement du PNRU en août 2003 et par le Plan de Cohésion Sociale dès juin 2004. Mais aussi par la mise en œuvre du dispositif de Robien en faveur de l’investissement locatif privé dès juillet 2003, puis par la réforme du PTZ intervenue à compter du 1er janvier 2006. L’ensemble de la filière avait été mobilisé, les entreprises avaient embauché et formé les salariés qui jusqu’alors faisaient défaut, … L’objectif était donc de préserver ce qui avait permis de relever le niveau de la construction et de tendre vers les 500 000 logements commencés chaque année nécessaires pour venir à bout d’une crise du logement alimentée par un déficit de l’offre nouvelle ;
  • atténuer les conséquences de la crise sur l’offre nouvelle de logements : en préservant principalement l’accès à la primo accession à la propriété des ménages modestes et l’offre locative sociale nouvelle ;
  • préparer le rebond de l’activité, un fois la crise passée. Outre les indispensables mesures de soutien au secteur bancaire et financier (que beaucoup considèrent toujours comme n’ayant été qu’un cadeau injustifié !), le Plan avait inscrit un dispositif de soutien au secteur de la promotion immobilière permettant le déstockage de 30 000 logements transformés en logements locatifs sociaux en VEFA, la mise en place du dispositif Scellier en faveur de l’investissement locatif privé et un doublement de la quotité du PTZ dans le neuf.

Alors que le niveau de la construction avait reculé de 29 % entre 2007 et 2009 (soit une perte de 145 000 mises en chantier), la reprise qui s’est amorcée dès 2010 fut rapide : bien qu’interrompue dès 2012, le niveau de la construction s’était accru de 85 000 unités en deux années (+ 24 %).

Mais l’effondrement du niveau de la construction déclenché par la crise des « subprimes » n’a pas été le seul, au cours des 40 dernières années. Si on met à part la chute du nombre des commencés qui va mener des 556 000 mises en chantier de 1973 au 297 000 de 1984 pour des raisons principalement budgétaires[14], l’examen de la courbe de la construction pour 1 000 ménages[15] permet d’identifier deux autres crises majeures, celles des périodes 1989-2013 et 2011-2014 qui coïncident évidemment avec les crises traversées par le marché de l’ancien, s’étant déclenchées pour les mêmes raisons :

  • entre 1989 et 1993, le niveau annuel de la construction a reculé de 75 000 unités (- 21 %). Mais une succession de crises financières[16] et une volonté insuffisante de la part des pouvoirs publics vont confisquer le rebond du niveau de la construction jusqu’en 2002 ;
  • la remise en cause progressive du PTZ et son verdissement, mais aussi la détérioration du dispositif de soutien à l’investissement locatif privé sans que le relais ne soit pris par la construction locative sociale vont provoquer une baisse de 95 000 unités du niveau annuel de la construction entre 2011 et 2014 (- 27 %). Une baisse tout à fait remarquable qui n’a pu s’interrompre qu’avec les mesures de soutien décidées au cours de l’été 2014.

Une chute sévère des marchés de plus en plus probable

La chute des marchés immobiliers du neuf et de l’ancien qui s’annonce presque sûrement devrait, à l’instar des trois crises majeures qui la précèdent, se traduire par un recul sensible de l’activité sans véritable recul des valeurs des biens, même si les indices de prix peuvent (très) modérément (et lentement) diminuer[17].

L’ampleur de la chute va évidemment dépendre de la durée des crises en cours : avec une crise sanitaire qui se terminerait vers la fin mai, par exemple et sous une hypothèse optimiste, puisqu’il paraît peu probable en l’état des informations disponibles que le confinement soit levé dans la foulée, partout et en même temps[18]. La crise économique (le recul du PIB) ne s’atténuerait donc que progressivement, avec une reprise n’intervenant qu’à partir de la rentrée. La perte d’activité se solderait alors par un recul du PIB de 6 % (voire de 9 %, si les mesures d’accompagnement économique ne s’accompagnaient pas d’un plan de relance concerté au niveau européen[19]) en 2020 et plusieurs millions de salariés au chômage partiel sur une (bonne) partie de l’année, sans même compter un nombre impressionnant de faillites d’entreprises et d’artisans et de cessations d’activité non salariée. L’année 2021 serait alors une année de retour à la « normale », à quelques « petits » détails près : la remontée du chômage, les pertes de pouvoir d’achat, le creusement du déficit public (dont les déficits des régimes sociaux), une bourse fragilisée (avec à la clé une forte déstabilisation des régimes de retraite par capitalisation), …

Même si cela n’est qu’une hypothèse macroéconomique parmi d’autres (et pas forcément parmi les plus pessimistes si on se réfère aux récentes déclarations du Ministres des Finances[20]), elle souligne que les marchés immobiliers ne seront pas facilement tirés d’affaire. Surtout si à la différence de ce qui fut le cas durant la crise des « subprimes », le secteur de l’immobilier ne bénéficiait pas d’un plan de relance[21], mais de simples mesures d’accompagnement « sectorielles ». Néanmoins, si on prend comme base de référence les trois crises de ces 40 dernières années, un scénario (qui ne demande qu’à être précisé dans les semaines à venir) serait alors le suivant pour 2020 :

  • pour le marché de l’ancien : un repli des achats réalisés par les ménages de 20 % à 30 % au total (donc une perte probable de 200 000 à 250 000 unités par rapport à 2019, y compris l’impact des recommandations du HCSF). La chute s’étalerait sur 4 à 6 trimestres : sa durée et son ampleur dépendant largement d’une éventuelle décision de la Banque de France d’aménager, voire de renoncer à la mise en œuvre des recommandations. Et en sortie de crise, à partir de l’été 2021 voire de la fin de 2021, le rebond du marché serait d’ampleur à peu près comparable à la chute et se ferait sur une durée équivalente ;
  • pour le secteur de la construction[22]particulièrement impacté par les mesures de confinement, mais aussi par les difficultés d’approvisionnement des chantiers et les faillites de PME et d’artisans[23] : une baisse des mises en chantier de 20 % à 25 % à l’horizon de l’été 2022 (soit une diminution probable de 80 000 à 100 000 logements commencés en niveau annuel glissant). En fait, l’intensité de cette crise pourrait être atténuée par les décisions de CDC-Habitat et d’Action Logement de muscler leurs projets d’investissement dans le logement locatif social et intermédiaire[24]. Mais les ménages et leurs projets d’accession à la propriété) seraient particulièrement concernés par cette chute de la construction. Comme d’ailleurs la construction locative sociale qui va souffrir d’un arrêt (presque total) de la consommation des agréments de financement au cours du 1er semestre et d’un coup de frein brutal sur l’ouverture des nouveaux chantiers.

Et avant après, maintenant !

Même si ce scénario n’est pas, et de loin, le plus pessimiste (notamment parce qu’il n’envisage pas une deuxième vague de Covid-19 à l’issue de la période de confinement, ni une quasi-paralysie de l’économie américaine en avril et sur une grande partie du mois de mai à l’origine d’un effet de retour sur l’économie mondiale), il souligne le risque majeur d’une contraction de l’activité que courent les marchés immobiliers[25]. Et sa probabilité de sa réalisation dépend évidemment d’un certain nombre de conditions nécessaires mais pas suffisantes (rétablissement rapide du moral des ménages et des entreprises, plan de soutien gouvernemental sectoriel, …), de l’attitude que les institutions françaises de contrôle des banques pourront avoir à l’égard de l’immobilier résidentiel, … et de l’état dans lequel le secteur de la construction et de la transaction immobilière sortira de la crise.

Et comme sur ce dernier point l’incertitude demeure, on ne peut exclure un scénario plus dur. Il aurait été judicieux, en de telles circonstances, que la fameuse « statistique publique » se montre à la hauteur de la tâche qui devrait être normalement la sienne : informer, afin de réduire l’incertitude qui renforce les déséquilibres de marché. Mais il ne semble pas, cette fois encore, que la « mission » soit bien assumée. Avec par exemple, le silence radio assourdissant concernant les statistiques de la construction : initialement prévue pour le 27 mars pour rendre compte du niveau de la construction en février (donc suivant le délai normal et habituel), leur publication par le ministère du Logement a été reportée dans un premier temps au 10 avril (comme le site de l’INSEE l’avait annoncé quelques jours auparavant) … pour maintenant être annoncée pour le 29 avril, en même temps que les statistiques de mars, mais avec la mention « annulé » ! Ce qui aurait pu laisser attendre une publication le 29 mai qui elle aussi est d’ores et déjà annulée …  avec une probabilité élevée d’être provisoirement reportée au 26 juin 2020 (évidemment).

Alors, quand on se souvient (avec émotion) du fameux objectif de « la dématérialisation de l’application du droit des sols, une exigence de modernisation et de simplification traduite dans la loi ELAN », on ne peut que demeurer perplexe, même sans forcément se gratter « le crâne, …, l’œil au ciel » pour reprendre la célèbre expression de Georges Courteline dans le « Train de 8h47 ». Mais comme chacun sait depuis Aristote que la nature a horreur du vide, ce qui n’aurait bien souvent été traité que comme une simple communication commerciale a acquis droit de cité et est, encore plus qu’avant, érigé en information/évaluation statistique … comme les récents rebondissements qui animent les échanges (guère confraternels mais souvent épistolaires) entre organisations professionnelles le rappellent.

 

Pour retrouver le premier épisode de la chronique « Entre crises et guerres, chronique de la mobilisation », par Michel Mouillart, c’est ici !

[1] Parfois (souvent) surprenantes : « Le choc des nombres », Chronique, Immoweek, 11 février 2020.

[2] Beaucoup d’établissements avaient choisi d’adapter avec quelques semaines d’avance leurs offres commerciales aux nouvelles exigences formulées par les autorités de contrôle des banques.

[3] « Markemétron », CGI-Bâtiment et LCA-FFB, n° 50, 6 avril 2020.

[4] Tableau de bord mensuel : février 2020, Crédit Logement, 2 mars 2020.

[5] Baromètre LPI-SeLoger, n° 67, 24 mars 2020.

[6] L’enquête de conjoncture réalisée par l’INSEE auprès des ménages (Informations rapides, INSEE, n° 2020-82, 27 mars 2020) confirme leurs inquiétudes pour l’avenir : leur opinion sur leur niveau de vie future se dégrade fortement, leurs craintes sur l’évolution du chômage s’expriment brulement après plusieurs mois d’embellie et la proportion de ménages estimant qu’il est opportun de faire des achats importants diminue nettement. Pourtant, pour des raisons « techniques », l’enquête avait été réalisée « essentiellement avant la mise en place du confinement de la population ». Car depuis, la confiance des ménages s’est fortement détériorée, qu’il s’agisse du sentiment qu’ils expriment sur leur environnement économique ou de l’appréciation qu’ils portent sur l’exécutif : comme par exemple, d’après le sondage Odoxa réalisé les 24 et 25 mars pour le Figaro et France Info.

[7] Projet de loi de Finances rectificative pour 2020 : « Rapport sur l’évolution de la situation économique et budgétaire et exposé général des motifs », enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 18 mars 2020 (sous le n° 2758).  

[8] Lors de la conférence de presse du 28 mars, le Premier Ministre a d’ailleurs rajouté que « les 15 premiers jours d’avril seront difficiles. Encore plus difficiles que les 15 jours qui viennent de s’écouler ».

[9] Ce dont tous les observateurs conviennent. Comme par exemple : « Évaluation au 30 mars 2020 de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement en France », Département analyse et prévision, OFCE, Policy brief, n° 65, 30 mars 2020. Même si beaucoup ont parfois considéré que l’impact de cette crise devrait rester contenu et être rapidement amorti par une reprise rapide, tant en intensité qu’en délai de survenance. Comme par exemple : « Conséquences du COVID-19 pour l’économie et les marchés financiers », Les perspectives hebdomadaires de Swiss Life Asset Managers France, 25 mars 2020.

[10] Les prévisions concernant l’ampleur du recul de l’activité en France dépendent largement de la durée du confinement, mais aussi de la nature du rebond de l’économie à l’issue de la pandémie. Or, en la matière, une dimension essentielle est celle de l’état de l’économie mondiale à ce moment-là. La brutalité de la crise sanitaire qui s’est déclenchée aux Etats-Unis va très certainement peser sur sa croissance et l’état des systèmes de protection sociale américain vont venir freiner la reprise.

[11] Le taux de mutation mesure le rapport entre le nombre de logements anciens acquis par les ménages et le parc de logements détenu par eux. Ce parc regroupe celui des résidences principales occupées par leur propriétaire, le parc locatif privé et le parc des résidences secondaires détenus par des ménages, mais aussi l’ensemble de leurs logements restés vacants. Il comptait de l’ordre de 29.5 millions de logements en 2019, soit plus de 11 millions d’unités supplémentaires qu’en 1978. Les évolutions du taux de mutation permettent ainsi d’analyser l’état de la conjoncture du marché de l’ancien, en corrigeant le nombre d’achats réalisés à raison de la taille du parc correspondant.

[12] Donc loin de cet « atterrissage en douceur salutaire qui permettra au marché de rebondir rapidement » que certains responsables professionnels évoquaient encore à la fin de l’été 2008.

[13] Il ne faut pas confondre revendeur et primo accédant : un ménage en primo accession peut avoir préalablement revendu un logement, une résidence secondaire ou (la plupart du temps) un logement locatif privé (ce qui est fréquent chez les jeunes ménages qui ont ainsi constitué leur apport personnel préalable). En revanche, bien sûr, un ménage en secundo accession a revendu au moins sa précédente résidence principale.

[14] « Les aides au logement en longue période (1948-2018) », Observateur de l’Immobilier, n° 96, juin 2018, pp. 22-36. [15] Comme le taux de mutation permet d’analyser la conjoncture du marché de l’ancien en corrigeant ses évolutions des évolutions du parc de logements correspondant, le niveau de la construction pour 1 000 ménages permet de rendre compte de l’effort consenti pour répondre à la demande, puisqu’à priori les logements mis en chantier sont destinés à couvrir les besoins en logement des ménages.

[16] La correction brutale du marché obligataire (1994), puis la crise économique mexicaine (crise « Téquila », 1994) et crise économique asiatique (1997).

[17] Une absence de recul de la valeur des biens expression de leur rigidité sur des marchés dominés par la rareté des biens disponibles (une insuffisance structurelle de l’offre) n’est cependant pas synonyme de stabilité des indices de prix des logements neufs ou anciens. Les indices peuvent reculer, mollement comme cela s’est constaté lors des précédentes crises sous l’effet de la déformation de la structure du marché (proportionnellement moins de produits chers et/ou bien situés).

[18] Ce que le Premier Ministre a précisé le 1er avril, devant les députés de  la « Mission d’information sur l’épidémie de coronavirus » : « Il est probable que nous ne nous acheminons pas vers un dé confinement général et absolu, en une fois, partout et pour tout le monde ». Quant à la durée du confinement, l’hypothèse retenue ici parait relativement optimiste, si on en juge par l’intervention du Premier Ministre lors des questions au gouvernement, le 7 avril : « Aujourd’hui l’impératif c’est de faire en sorte que le confinement fonctionne … Aujourd’hui c’est l’heure du confinement et l’heure du confinement va durer ».

[19] Et dans tous les cas, la relance de l’économie française prendra des mois, comme le Ministre de l’Economie le rappelait encore récemment dans une interview au Journal du Dimanche (5 avril 2020).

[20] L’administration des Finances table désormais sur un recul du PIB de 6 % en 2020, comme le Ministre l’a précisé lors de son point presse du 9 avril. Il est d’ailleurs envisagé d’actualiser la première loi de Finances rectificative (celle du 22 mars dernier) qui tablait sur un recul de l’activité de 1 % en 2020. Certes, ce chiffrage avait laissé perplexe (« Entre crises et guerres : chronique de la mobilisation », MySweetImmo, Chronique, 24 mars 2020), d’autant que dans le même temps l’Allemagne affichait un prévision de recul de 5 %. Et aujourd’hui, le Ministre n’exclut pas, et loin s’en faut, de tenir compte de la dégradation à venir si, au final, elle s’avérait plus forte que prévu. Une deuxième loi de Finances rectificative (une deuxième, pas une seconde !) sera d’ailleurs présentée prochainement au Parlement.

[21] On pourra noter à cet égard que l’absence de plan de relance peut souvent être moins pire que des ordonnances ! L’exemple de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 « relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période » l’illustre bien. Cette ordonnance prévoit en effet que l’instruction de tout nouveau permis de construire, permis d’aménager, déclaration préalable de lotissement, peut être reportée d’un mois après la sortie de crise. Si l’état d’urgence sanitaire dure deux mois, cela conduit à un décalage de l’instruction de trois mois. De plus, à ce délai de trois mois, il faut ajouter un délai de recours supplémentaire de deux mois pour tous les permis non purgés au 12 mars, qui résulte également de l’ordonnance. Les entreprises ne pourraient, ainsi, commencer leurs travaux qu’en 2021. Bien sûr et depuis, le Ministre de la Ville et du Logement, Julien Denormandie, a tenu à rassurer les professionnels concernés …

[22] Lors de la crise des « subprimes », les ventes des constructeurs de maisons individuelles avaient baissé de 28 % pour la période août 2008/mai 2009 (en glissement annuel), pour rebondir de 35 % sur les douze mois suivants. Les ventes des promoteurs avaient diminué de 43 % entre le 2ème trimestre 2007 et le 1er trimestre 2009, pour rebondir de 41 % au cours l’année suivante.

[23] La dernière note de conjoncture de la Banque de France (« Conjoncture à fin mars 2020 : industrie, services marchands et bâtiment », Conjoncture-prévisions, 8 avril 2020) confirme d’ailleurs que le secteur du bâtiment est un des secteurs industriels qui, jusqu’alors, a été le plus lourdement impacté par la crise économique. Et l’estimation du recul d’activité présentée par la Banque de France (« Point sur la conjoncture française à fin mars 2020 », 8 avril 2020) confirme que le confinement « coûte » 1.5 point de baisse du PIB chaque quinzaine.

[24] Contredisant donc (très) partiellement l’impression suivant laquelle le miracle du locatif intermédiaire ne fut qu’un mirage. Action Logement a ainsi annoncé le 27 mars (Immowwek) un plan de soutien à l’activité du secteur de la construction sous la forme d’une acquisition en Ile de France de 10 000 logements intermédiaires (achevés ou en cours de travaux) en VEFA d’ici la fin de 2020. Pour sa part, CDC-Habitat duplique et amplifie le Plan de Relance de 2009 et ses 30 000 logements intermédiaires acquis en VEFA auprès des promoteurs afin de contribuer à l’allègement de leurs stocks de biens invendus : avec 40 000 logements en VEFA (10 000 logements locatifs intermédiaires et 30 000 logements locatifs sociaux ou abordables commandés à des promoteurs et construits en priorité dans les zones dites tendues (A, Abis et B1) et dans les communes du plan Action « cœur de ville ».

[25] Sans oublier un marché de l’amélioration-entretien des logements déjà mal en point (« La rénovation (énergétique) du parc de logements privé constitue-t-elle une priorité ? », Chronique, Immoweek, 18 avril 2019) en dépit des enjeux de l’adaptation au réchauffement climatique (et des discours « volontaristes » et/ou exagérément optimistes en cour) et qui va devoir encaisser un choc assez brutal, au moins en 2020. Avec les conséquences qui se font déjà ressentir sur le tissu des petites entreprises et des artisans particulièrement déployés en dehors des espaces métropolitains. L’économie des territoires ruraux et intermédiaires en sera alors d’autant plus malmenée si le recentrage (voire la spécialisation) des interventions publiques en faveur des espaces métropolitains survivait à la crise sanitaire et/ou en sortait renforcée.

Michel Mouillart, Professeur d’Economie, FRICS