Covid-19 et baux commerciaux : Que faire si vous avez du mal à payer votre loyer ?

Vous dirigez une TPE ou une PME ? Vous êtes commerçant, artisan ou encore restaurateur et avez du mal à régler votre loyer en dépit des mesures de soutien mises en place par le gouvernement. Voici ce qu’il faut savoir pour face à une dette locative, à des relances de bailleur, voire à l’exécution de procédures de recouvrement.

Impayé de loyer

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Le loyer est, en général, le second poste de charges, après la masse salariale. Il constitue par ailleurs la contrepartie à l’utilisation de locaux essentiels à la vie de l’entreprise : boutique, bureaux, entrepôts, etc…

Dans ce contexte inédit de 2020, nombre d’entreprises sont en difficulté en raison des obligations de fermeture obligatoire pendant presque 2 mois, voire beaucoup plus longtemps dans certains secteurs (salle de sport, évènementiels…) comme en raison de contraintes supplémentaires (ex. bars, restaurants) mais également de la baisse généralisée du dynamisme économique et donc des rentrées d’argent.

Depuis le début du confinement, nombre de mesures ont été prises : primes, chômage partiel, Prêt Garantis par l’Etat (PGE) pour soutenir la trésorerie des entreprises jusqu’à la reprise et des jours meilleurs.

Les reports ou étalement de loyers arrivent à leur terme

En matière de baux commerciaux, ces mesures se sont traduites par le gel des procédures d’exécution pour la plupart des TPE, ainsi que par une tentative, au résultat bien médiocre, il faut le dire, de Médiation entre les Fédération des Bailleurs et des Locataires. Il n’en est sorti qu’un Code de bonne Conduite préconisant, pour ceux qui ont bien voulu le signer (!) des reports allant jusqu’à 3 mois, et une clause de rendez-vous entre bailleur et locataire pour examiner, dans les situations les plus fragiles la possibilité d’une annulation de loyer pouvant aller jusqu’à 50% sur une période de 3 mois.

Les Tribunaux ne se sont pas encore clairement prononcés sur la question de la redevabilité des loyers afférents à la période de fermeture administrative.

Il est fort à parier que des décisions contradictoires seront observées ici et là en France.

Aussi, pour tous ceux qui n’ont pas réussi à trouver un accord amiable, les procédures de recouvrement reprennent, les reports ou étalements arrivent à leur terme, et pour certains les trésorerie et prêts s’épuisent, les recettes ne sont pas revenues au niveau suffisant, les contraintes de fonctionnement sont toujours là.Ainsi, aujourd’hui, certains se retrouvent face à une dette locative, à des relances de leur bailleur, voire à l’exécution de procédures de recouvrement.

Vous avez difficultés à payer votre loyer ? Ne faites pas l’autruche

Ne restez pas silencieux. Il faut au contraire se manifester auprès de son bailleur, exprimer ses difficultés et les risques encourus par l’entreprise, solliciter des annulations amiables et/ou des reports durables. N’hésitez pas à solliciter une rencontre, un entretien téléphonique, même s’ils sont doublés ensuite de la production de justificatifs et, ultérieurement, de la signature d’un protocole d’accord.

Si les échanges sont verbaux, n’hésitez pas à demander confirmation par écrit : pas de scrupule à avoir, c’est normal. Si vous êtes gêné, dites que c’est, par exemple, votre expert-comptable qui vous le demande, cela pourra être précieux pour la suite.

Nombre de bailleurs, malheureusement pas tous, loin de là, savent que leur revenu, leur rendement locatif dépend avant tout de l’occupation durable de leur local, et savent aussi que dans le contexte actuel, si leur locataire cesse son activité, ils sont loin d’être garantis de relouer, en tous cas au même prix… Aujourd’hui, plus que jamais, le mot « rendement » a un synonyme : c’est « locataire » !

La première démarche est donc de tenter de dialoguer dans un esprit gagnant /gagnant.

 Ainsi, si vous n’avez pas encore eu d’échanges écrits avec votre bailleur, il faut le faire immédiatement, par courrier recommandé, pour expliquer votre situation, votre bonne foi, vos possibilités financières, vos propositions d’étalement ou de report…autant d’éléments qui seront précieux devant un Juge, le cas échéant.

 Faites un point précis de votre situation locative

Pour y voir clair sur votre situation vous devez-vous pouvoir répondre aux questions suivantes :

  • Que dit mon bail en matière de loyer, de recouvrement, de sanctions ?
  • Qui est mon bailleur ? un particulier, une foncière, un bailleur social ?
  • Qui est mon interlocuteur ?  S’il s’agit d’un administrateur de biens, assurez-vous que vos demandes de soutien n’ont pas fait l’objet d’un « barrage » administratif, volontaire ou non au niveau du gestionnaire, et qu’elles sont bien parvenues jusqu’au propriétaire.
  • Votre bailleur est-il adhérent à l’une des Fédérations signataires du Code de bonne conduite ?
  • Votre loyer actuel est-il correct ou bien est-il supérieur aux valeurs actuelles du marché (valeur locative) ?Si tel est le cas, une baisse de loyer pour l’avenir  apparaîtra légitime…

Prenez conseil auprès de spécialistes

Si les démarches amiables n’aboutissent pas, il conviendra de prendre conseil auprès de spécialistes. Votre syndicat professionnel ou votre expert-comptable peuvent utilement vous éclairer. Si les choses prennent une tournure contentieuse, vous devrez avoir recours à un avocat. Pour mettre toutes les chances de votre coté, choisissez un  avocat spécialiste en  matière de baux commerciaux, et non un généraliste. N’oubliez pas que la matière est complexe et la situation inédite.

Vous avez reçu un commandement de payer par huissier ? Montrez votre bonne foi

Si votre bailleur vous a délivré un commandement de payer (par huissier)  est déterminé à recouvrer son loyer, voire, dans de nombreux cas, à solliciter en Justice l’acquisition de la clause résolutoire du bail et donc, le prononcé de l’expulsion, à défaut de règlement intégral des sommes réclamées passé le délai d’un mois suivant la délivrance dudit commandement.

A cet effet, il sera fondé à saisir le Juge des référés du Tribunal Judiciaire à l’expiration du délai d’un mois suivant le commandement, sauf à ce qu’entre temps, le locataire ait saisi le « Juge du fond » du Tribunal Judiciaire en contestation du commandement de payer.

Ainsi, dans l’hypothèse de la réception d’un commandement de payer par voie d’huissier, le locataire désireux de contester l’exigibilité de sa dette ou d’obtenir des délais de paiement de celle-ci aura le choix entre deux options :

  • option 1 : attendre d’être assigné en référé par le bailleur pour soulever devant le Juge des référés, via son avocat, le cas échéant, à titre principal, une contestation sérieuse à l’exigibilité de la somme réclamée sur la base de divers fondements juridiques afin que le Juge des référés se déclare incompétent au profit du Juge du fond, et en tout état de cause, subsidiairement, l’octroi de délais de paiement pouvant aller jusqu’à 24 mensualités consécutives, accompagné de la suspension des effets de la clause résolutoire du bail ;
  • option 2 : saisir,  via son avocat, le Juge du fond du Tribunal Judiciaire en assignant le Bailleur en contestation du commandement de payer dans le délai d’un mois suivant la délivrance de celui-ci.

Aux termes de cette assignation, le locataire pourra solliciter du Tribunal, le cas échéant, à titre principal, le rejet de la demande en paiement des loyers, et, en tout état de cause, subsidiairement, l’octroi de délais de paiement pouvant aller jusqu’à 24 mensualités consécutives, accompagné de la suspension des effets de la clause résolutoire du bail.

En effet, derrière la question de fond de la redevabilité des loyers appelés pendant la période de fermeture administrative obligatoire se cache aussi un enjeu stratégique de gain de temps puisqu’une procédure en référé dure à peine 3 à 5 mois alors qu’une procédure au fond peut durer 1 an et demi voire plus selon les Tribunaux. 

Quelle que soit l’option choisie, il est fortement recommandé, pour montrer votre bonne foi, de vous acquitter à minima des loyers courants non contestés.

Soyez présent à l’audience au tribunal, ou faites-vous représenter

S’il y a Audience au Tribunal, il convient impérativement d’y être présent ou représenté, pour faire valoir ses difficultés, proposer des paiements étalés, à hauteur des possibilités de l’entreprise. Le Juge n’en sera que plus sensibilisé à la situation et l’on peut raisonnablement penser que, dans le contexte actuel, des délais seront aisément accordés. A l’inverse, ne pas être présent équivaut à une certitude de condamnation à l’arriéré locatif, voire à l’expulsion si le bailleur l’a également demandé.

Vers de nouvelles aides spécifiques au paiement du loyer

Vous vous demandez s’il y a des aides spécifiques au paiement du loyer ? A priori non, si ce n’est au travers du  fond de solidarité réservé aux TPE ( moins de 10 salariés ou moins de 20 si secteur prioritaire, moins de 1Million d’euros de CA). Renseignez-vous toutefois auprès de votre Chambre de Commerce ou de votre syndicat professionnel. A noter aussi que Bruno Lemaire vient d’envisager, sur proposition de la FNAIM, la possibilité d’un Crédit d’Impôt pour les bailleurs : en aidant ces derniers, ce serait aussi un soutien aux locataires, en incitant aux remises de loyers… Il faut souhaiter que ce type d’initiative se concrétise. Et que les Pouvoirs Publics prennent des dispositions protectrices pour les plus fragiles (qu’ils soient locataires ou petits bailleurs).

Ce qu’il faut retenir

Il faut tenir et gagner du temps, pour permettre à votre entreprise de sortir de cette période difficile et au business de reprendre. Mais si la situation est plus grave, plus générale, de nature à remettre en cause la survie de votre entreprise, il ne faut en revanche pas perdre du temps. Des procédures de protection et de sauvegarde existent, prenez attache rapidement avec votre Expert-Comptable. 

Jean-Luc Brulard, agent immobilier de proximité, RICS : Agent immobilier de proximité, RICS
Cet article a été rédigé par Jean-Luc BRULARD MRICS – Agent Immobilier de proximité à Rueil-Malmaison avec la participation de Maître Grégory CHERQUI – Avocat spécialiste en Droit des baux commerciaux.