Covid-19 et baux commerciaux : Pourquoi ne pas exonérer de loyers TOUS les locataires impactés pendant la période de confinement ?
Ce qui sera perdu ce printemps à cause du Covid19 ne sera jamais rattrapé par les commerçants. Face à ce cataclysme, il faut que les loyers commerciaux soient adaptés. Tribune de Jean-Luc Brulard, agent immobilier de proximité.
Gagnants-Gagnants… Comment survivre ensemble en matière de baux commerciaux
Dans ce contexte inédit, difficile, parfois douloureux même, j’entendais récemment sur une radio nationale l’un de nos grands penseurs nous dire avec sagesse « Dans ce que nous aurons appris de la lutte mondiale face à cette crise sanitaire, il y aura notamment que, jusqu’alors, dans cette économie mondialisée et exacerbée, pour que je gagne, il fallait que l’Autre perde, eh bien aujourd’hui, si je veux gagner, il faut que l’Autre gagne aussi … ». Magnifique !
Déclinons cet enseignement à notre activité, à notre réalité et en particulier à celle de tous nos commerces (dont le mien) durablement fermés au public : restaurateurs, prêt à porter, agences de voyages, … tous ceux qui, en dehors des commerces alimentaires, ont été contraints (pour des raisons sanitaires, nécessaires et partagées par tous) de fermer boutique depuis le 16 mars et jusqu’à nouvel ordre.
J’entends, depuis, des propos ambigus, hésitants, surprenants même concernant les conséquences en matière de loyer commercial : à ce jour ce qui se propage plutôt, y compris de la part des Pouvoirs Publics, c’est la possibilité d’un REPORT des loyers de la période concernée, jusqu’à l’automne… Mais de quoi parle-t ’on, qu’imagine-t ’on ? : que l’enthousiasme collectif à la sortie du confinement va nous faire aller 2 fois par soir au restaurant ? que nous allons nous empresser, en octobre, d’acheter nos vêtements pour l’été… 2020 ? et partir 3 fois en voyage afin la fin de l’année, ou encore aller voir 3 films au cinéma chaque soir ? Bien sûr que non : pour tous ces commerces (mais aussi un certain nombre d’activités tertiaires, contraintes au télétravail pour la totalité de leur personnel, ou encore les salles de sport, etc…), ce qui sera perdu ce printemps à cause du Covid-19 ne sera jamais rattrapé, sera définitivement perdu …
Adapter les loyers commerciaux face au Covid-19…
Alors, face à ce cataclysme, il faut que les loyers commerciaux soient adaptés et ce, pour 3 raisons majeures (et sans doute pas les seules).
La solidarité. D’abord, la SOLIDARITE (certains me connaissent déjà sur ce registre) : chacun doit retrousser ses manches, chacun doit faire des efforts, chacun doit aussi faire des sacrifices, et nous avons beaucoup d’exemples au quotidien, avec les professions mobilisées (bravo les soignants notamment !) qui ne comptent pas leurs heures, qui adaptent leur outil de production pour offrir des moyens matériels, etc., etc…. Déjà un certain nombre de grands bailleurs institutionnels (et sans doute des bailleurs privés) ont pris l’initiative d’exonérer de loyer leur locataires commerciaux pendant la période de confinement : respect et chapeau bas pour cette anticipation et ce soutien, moral et financier, déterminant pour vos locataires dans l’ornière.
L’économie. Ensuite, l’ECONOMIE : il est temps de comprendre, grands ou petits bailleurs, qui ne l’auraient pas encore perçu que, demain plus encore qu’hier, « rendement » aura un synonyme … qui se nomme « locataire » : croyez-vous que les commerces qui fermeront du fait de cette période – ils seront nombreux – retrouveront preneurs, et/ou dans les mêmes conditions, alors que nos commerces de proximité ( une ville sans commerces est une ville sans âme, pensez-y aussi chers consommateurs) souffraient déjà de longue date ? Faites votre calcul : 2 ou 3 mois de loyer offert à votre locataire de longue date, ou bien le risque d’une vacance durable, d’un loyer de marché réduit du tiers ou de moitié faute de preneur ?
Le droit. Enfin, le DROIT, en l’occurrence le droit des baux commerciaux, sachant que sur cet aspect juridique, particulièrement technique et pointu, j’appuie mon propos sur l’analyse de l’un de mes amis, excellent avocat spécialiste des baux commerciaux ; selon ses conclusions, que je partage, la situation actuelle de confinement s’analyse comme un cas de force majeure (extérieure à la volonté du débiteur, imprévisible et irrésistible) qui empêche le preneur d’utiliser le local objet du bail commercial. Par l’effet de cette force majeure, le bailleur n’est donc plus en mesure d’accomplir envers le locataire son obligation continue de délivrance et de jouissance paisible des lieux conformément à leur destination. De la sorte, le preneur est en droit de considérer que le loyer (qui n’est rien d’autre que la contrepartie périodique de la mise à disposition du local en vue de l’exploiter) n’est plus exigible au regard de cette impossibilité d’utiliser les lieux. A ce titre, il peut notamment opposer au bailleur l’exception d’inexécution, les obligations des uns et des autres étant réciproques : en effet, le commerçant ne loue pas des murs vides, mais bien un outil de travail essentiel pour son activité : si l’activité n’est plus là, l’objet du bail n’est plus là temporairement, et l’exécution des conditions du bail – le loyer donc – n’est plus fondée. Comment les voix expertes ne se sont-elles pas encore élevées en ce sens ? Je ne les ai en tout cas pas entendues, à l’exception de celle mon ami avocat …
… pendant toute la durée d’interdiction d’ouverture et/ou d’impossibilité d’utiliser les locaux loués du fait du confinement
J’entendais, ce jour où j’écris ces lignes que nos Ministres évoquaient, sans doute dans un élan de solidarité et dans la ligne des actions déjà mises en œuvre, que l’Etat envisagerait renforcer son soutien aux petits entrepreneurs en difficulté, en complétant son aide 1.500 euros mensuels du montant nécessaire pour assurer le paiement de leur loyer commercial… ?? Ce serait ainsi à l’Etat (donc à nous, au travers de nos impôts et la dette déjà bien lourde qui pèse sur la tête de nos enfants) de garantir ainsi à Tous les bailleurs de France 100% de leurs revenus locatifs sur 2020 ? A quel titre ? Pour quel motif ? Tout de même pas pour permettre aux grosses foncières de maintenir intacts leurs dividendes ? Ni aux gros bailleurs privés de vivre cette année comme s’il ne s’était rien passé, alors que l’on ramassera à la pelle les petits commerçants tombés au Champ d’Honneur du cordon sanitaire pour éviter plus de morts ? (J’ai dans mes dossiers par exemple le mail d’un bailleur qui voici quelques mois répondait à son locataire, commerçant de ma ville, qui voulait lui acheter ses murs de boutique : « Je n’ai pas besoin de récupérer de l’argent frais, j’ai ce qu’il faut, voire plus qu’il n’en faut… » !).
L’exonération, ainsi justifiée, portera donc sur toute la durée d’interdiction d’ouverture et/ou d’impossibilité d’utiliser les locaux loués du fait des obligations de confinement des salariés, mis en télétravail. Et comme la mesure a débuté le 16 mars et que la plupart des loyers commerciaux, payés à échoir (d’avance) donc pour le 1er trimestre complet, le remboursement de la seconde quinzaine de mars à valoir sur le prochain quittancement trimestriel, constituera un complément précieux à la trésorerie des commerces et entreprises touchés.
Si l’Etat doit apporter son soutien dans ce domaine, ce doit être aux petits bailleurs modestes, pour lesquels l’exonération temporaire de loyer commercial, pour les motifs exposés plus haut, serait de nature à compromettre leur propre situation et ce, sur la base d’un examen au cas par cas (de leurs revenus annuels, résultat et endettement).
Il faut regarder la réalité collective en face, et admettre la contribution de chacun, à la mesure de ses moyens, à la Solidarité Nationale.
J’espère qu’à travers ces propos j’aurais pu, modestement, participer à clarifier ces enjeux cruciaux du moment dans l’esprit de ceux, bailleurs en premier lieu, gouvernants et, si nécessaire le moment venu, juges concernés, toux ceux qui doivent se prononcer sur le sort des loyers des commerces fermés pour raison de confinement.
Evitons les angoisses supplémentaires de nos commerçants (et tertiaires) concernés, évitons les litiges, évitons d’engorger à terme les tribunaux déjà exsangues… Et faisons de cette contrainte, de cette catastrophe nationale, une opportunité de solidarité, de renforcement des liens entre bailleurs et preneurs, de soutien à notre Economie Nationale qui en aura tant besoin…
Mesdames et Messieurs les Bailleurs, pour être gagnants dans la durée, faites gagner maintenant vos locataires !
Jean-Luc Brulard, est Agent Immobilier de proximité, directeur de l’Agence IMMEDIAT – RICS.