Livret A : Le placement préféré des Français passe à 2% au 1er août

Même si elle reste inférieure à l’inflation, la hausse du taux du Livret A n’est pas une mauvaise nouvelle pour les épargnants. Elle pourrait mettre en difficulté en revanche les acteurs du logement social.

Le taux du Livret A passe de 1% à 2% au 1er août 2022.

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Le livret A et du LEP vont rapporter plus mais moins que l’inflation

Produit d’épargne détenu par une majorité de Français, le Livret A voit son taux calculé automatiquement deux fois par an. En février, sa rémunération avait déjà doublé, passant de 0,5%, un plancher historique, à 1%.

Le gouverneur François Villeroy de Galhau lui avait transmis en amont, comme il est d’usage chaque semestre, sa proposition. Il revenait ensuite au ministre de l’entériner.

Le taux dépend pour partie du niveau d’inflation, mesuré par l’Insee à 5,8% sur un an en France en juin, des taux interbancaires, auxquels les banques s’échangent de l’argent à court terme, mais aussi d’un éventuel « coup de pouce« , absent cette fois-ci.

Si cette hausse peut sembler une bonne nouvelle pour les épargnants français, elle ne doit pas faire oublier que le taux, même revalorisé, va rester très nettement inférieur à l’inflation.

10 000 placés sur un livret 1 rapporteront 200 euros par an

Pour un épargnant ayant 10.000 euros sur son Livret A, la rémunération en année pleine sera de 200 euros, contre 100 euros au taux actuel. De quoi attirer de nouveaux versements dans les semaines à venir, mais aussi « pénaliser la consommation », a réagi Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne.

Cette revalorisation du Livret A entraîne par ailleurs avec elle le taux du Livret de développement durable et solidaire (LDDS). C’est une demi-surprise, puisque le gouverneur de la Banque de France l’avait déjà qualifiée de « possible » au micro de France Info mercredi.

Livret A et LDDS totalisent plus de 485 milliards d’euros d’encours, selon le dernier pointage de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC). Ils bénéficient d’un taux d’intérêt garanti, sont exonérés d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, et l’argent déposé reste disponible à tout moment.

Géré conjointement par la CDC et les réseaux bancaires, le Livret A sert essentiellement à financer le logement social, tandis que le LDDS est dédié à l’économie sociale et solidaire, ainsi qu’aux économies d’énergie dans les logements.

La rémunération du Livret d’Epargne Populaire grimpe à 4,6%

Le taux du livret d’épargne populaire, qui passera de 2,2% à 4,6%, devient quant à lui « le placement le plus efficace pour protéger contre l’inflation », promeut Bruno Le Maire.

« Il faut remonter à 1998 pour avoir un taux du LEP comparable (4,5%)« , se souvient M. Crevel. Le LEP « sera ainsi de loin le placement de court terme le mieux rémunéré permettant de compenser l’inflation« , estime-t-il.

Mais trop peu de personnes éligibles en détiennent. Si ses modalités d’ouverture ont été simplifiées depuis l’an dernier, seuls 37% des 18,6 millions de Français remplissant les conditions pour disposer d’un LEP en ont effectivement un, selon la Banque de France.

Ce produit est réservé aux personnes ayant des revenus ne dépassant pas certains plafonds (20.297 euros annuels par exemple pour une personne seule).

La Banque de France a tenu de son côté à rappeler « son soutien à cet instrument qui permet de protéger le pouvoir d’achat de l’épargne populaire« .

Livret A : menaces à l’horizon pour les HLM

Si les épargnants apprécient la hausse du taux du Livret A à 2%, ce n’est pas forcément le cas des bailleurs sociaux, qui tirent leur financement de ce produit d’épargne.

Comment le Livret A finance le logement social ?

Une partie importante du Livret A est confiée, avec d’autres produits d’épargne (Livret de développement durable et solidaire, Livret d’épargne populaire), à la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

Celle-ci est tenue par la loi de dédier ces ressources en priorité à des prêts finançant le logement social et la politique de la ville, via sa filiale la Banque des territoires.

Ces prêts sont octroyés pour des durées très longues, qui peuvent aller jusqu’à 80 ans.

Au total, près de 80% de la dette des bailleurs sociaux est détenue par la CDC.

Fin 2021, 170,7 milliards d’euros étaient affectés par la CDC au financement du logement social et de la politique de la ville, dont 11,8 milliards débloqués dans l’année. Cette somme a permis de construire 85.300 logements sociaux en 2021, et d’en réhabiliter 81.600.

Que se passe-t-il si le taux augmente ?

« L’impact de la hausse du Livret A est non négligeable« , glisse-t-on dans l’entourage du ministre délégué au Logement, Olivier Klein. Le gros des prêts contractés par les bailleurs sociaux est en effet à taux variable, c’est-à-dire que les intérêts qu’ils doivent rembourser augmentent ou baissent en fonction du taux du Livret A.

« Cependant, nous avons des garde-fous« , assure-t-on au ministère. « Le modèle français de financement du logement social par le Livret A va protéger (les bailleurs sociaux, NDLR) d’un impact direct de la hausse des taux, puisque les prêts de la Banque des Territoires vont rester attractifs.« 

« A très court terme, l’impact va être limité; à plus long terme, cela dépend du temps que durera cette augmentation« , assure Clément Lecuivre, directeur général de CDC Habitat, bailleur social filiale de la CDC.

Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, y voit un risque d’autant plus grand que les bailleurs sociaux ont beaucoup emprunté ces dernières années. « Quand le taux était bas, ça a permis aux bailleurs sociaux de s’endetter à bas coût, donc c’était quelque chose d’assez intéressant pendant des années, et là, la remontée des taux a des effets assez coûteux pour les bailleurs sociaux, et ce n’est sûrement que le début« , ajoute M. Domergue.

Comment les bailleurs sociaux s’adaptent ?

Ils vont fatalement devoir faire des arbitrages. « Si le taux continue d’augmenter, ça va limiter les capacités d’investissements nouveaux des bailleurs« , prévient Marianne Louis, directrice générale de l’Union sociale pour l’habitat (USH) qui représente les bailleurs sociaux.

« Moins de capacité d’investissement, c’est moins de constructions, moins de rénovations… c’est un peu ça, le sujet« , dit-elle.

Avec les obligations de rénover les passoires thermiques sous peine de ne plus pouvoir les louer, c’est plutôt sur la construction que vont se faire les économies, prévient-elle. Autant d’embûches supplémentaires pour les quelque 2,3 millions de personnes en attente d’un logement social.

Avec un passage de 1% à 2%, « on a 1,5 milliard (de charges par an, NDLR) de plus. Et là, c’est, en gros, 70.000 réhabilitations perdues« , calcule de son côté Didier Poussou, directeur général de la Fédération des entreprises sociales pour l’habitat, les bailleurs sociaux privés.

Que peuvent faire les pouvoirs publics ?

Ils sont face à un dilemme. En période d’inflation, augmenter trop peu le taux du livret A, prisé des petits épargnants, risquerait de les en détourner, et donc d’assécher la manne qui finance le logement social.Mais l’augmenter alourdit les coûts de fonctionnement des bailleurs sociaux.

Pour éviter de choisir, il faudrait que l’Etat mette la main à la poche. « La solution, c’est d’assumer qu’avoir un parc HLM qui répond à tout ce qu’on lui demande, (…) ça coûte de l’argent public« , cingle Manuel Domergue, rappelant les économies imposées aux bailleurs sociaux lors du premier mandat d’Emmanuel Macron.

« C’est comme quand vous achetez un appartement: si les taux d’intérêt sont élevés, il faut augmenter votre apport« , détaille Marianne Louis. « Donc la part +argent gratuit+. Est-ce qu’on est capables, demain, d’augmenter les aides à la pierre? C’est ça, la question.« 

Par Ariane Artinian avec AFP