Immobilier : Le recyclage urbain, une solution pour sortir l’immobilier de la crise ?

Suite à l’étude de Xerfi sur le marché du recyclage urbain, Lauric Berthier, chargé d’études, répond à trois questions sur la reconversion et rénovation des infrastructures urbaines et immobilières.

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Mysweet’immo : La reconversion et revitalisation d’immeubles ou sites industriels est perçue comme une piste prometteuse. A tort ou à raison ?

Lauric Berthier : Le contexte actuel est clairement favorable au marché du recyclage urbain. Outre l’objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols, parfois décrié, certains immeubles de bureaux ou résidentiels ont dépassé l’obsolescence alors que la crise du logement s’accélère dans les métropoles. Les géants de l’immobilier se mettent d’ailleurs en ordre de marche : partenariats stratégiques, offres marketées, marques dédiées à cet univers à l’image de Coverso par Bouygues Immobilier ou d’Héritage par Nexity. Mais derrière ce concept novateur et durable du « recyclage urbain » se cachent d’innombrables difficultés. La faisabilité technique et financière des opérations fait trop souvent défaut et appelle un soutien public plus franc.

De leur côté, les collectivités, dans leur majorité, freinent des quatre fers compte tenu des déséquilibres que ces projets engendrent sur l’assiette fiscale, les coûts de fonctionnement et les politiques d’urbanisme. Ces programmes n’échappent pas non plus à court terme au retournement des marchés immobiliers et à la hausse des taux. Malgré un environnement difficile dans l’immobilier en 2024 et vraisemblablement en 2025, le marché du recyclage urbain va évoluer à rebours des tendances dans la construction neuve.

Nous prévoyons ainsi un doublement par rapport à 2022 du nombre de logements autorisés issus de la reconversion à 50 000 unités en 2026. Avec 20% des autorisations de transformations de bureaux en logements émises entre 2013 et 2021, l’Ile-de-France se hisse à la première place des régions françaises en la matière. Dans le non résidentiel, la hausse sera également sensible avec près de de 55% de surfaces supplémentaires validées en trois ans.

L’objectif de ZAN d’ici 2050 pour la France sera le principal moteur des projets de recyclage urbain qui auront vocation à se généraliser à cette échéance. Dans ces conditions, la transformation représentera environ 20% de l’offre de logements neufs et 25% de nouveaux locaux tertiaires (contre respectivement 7,5% et 7,7% en 2022).

Au delà de la réglementation, le développement des opérations de transformation sera porté par un manque de plus en plus prégnant de logements et l’émergence de nouveaux usages dans les centres urbains, assouvis à terme par la reconversion du bâti vacant et obsolète. D’autres projets – comme la démolition-reconstruction, la réhabilitation sans changement d’usage, la surélévation, la construction sur des parcelles sous-exploitées ou encore la construction traditionnelle compensée par la renaturation – pourraient aussi s’imposer.

Mysweet’immo : Qui sont les principaux acteurs à se disputer ce marché ?

Lauric Berthier : : Les promoteurs immobiliers, les bailleurs sociaux, les aménageurs fonciers et les grands propriétaires d’actifs immobiliers (investisseurs et foncières) sont les quatre grands profils d’acteurs du marché du recyclage urbain. Tous ces professionnels doivent en effet faire évoluer leur modèle d’affaires pour prendre en compte les enjeux écologiques et sociétaux. Les grands promoteurs ont donné un véritable coup d’accélérateur à leur offre en matière de recyclage urbain ces derniers mois, poussés par un accès au foncier de plus en complexe et la crise profonde du marché du neuf. Nexity (Héritage) et Bouygues Immobilier (Coverso) ont par exemple créé des structures dédiées en 2023.

Pour les bailleurs sociaux, cela se traduit surtout par la reconversion d’actifs obsolètes (tertiaires, résidentiels, commerciaux, etc.) en logements. Ils cherchent ainsi à étoffer leur offre dans les zones tendues où les besoins sont les plus prégnants mais où le coût du foncier grève souvent la viabilité des opérations.

Les investisseurs et foncières sont aussi très actifs sur le marché. Novaxia fait figure de référence avec son positionnement de spécialiste à la tête de quatre fonds dédiés au recyclage urbain. Des fonds généralistes de plus grande envergure comme 123 IM ou Mirabaud AM entendent eux se conformer aux critères ESG tout en réalisant des plus-values grâce à l’acquisition de biens décotés à transformer et/ou réhabiliter pour les revaloriser.

Au même titre que les autres profils, les aménageurs ont aussi pris le virage du recyclage urbain, compte tenu de leur rôle central dans la mise en place des politiques d’urbanisme des villes. Parmi ces acteurs, on retrouve des structures publiques, comme Grand Paris Aménagement, et des sociétés privées, souvent filiales de grands promoteurs ou groupes de construction à l’image d’Eiffage Aménagement ou d’UrbanEra (Bouygues Immobilier).

De grands propriétaires fonciers comme la RATP, la SNCF ou La Poste sont aussi présents via leurs pôles immobiliers. A leurs côtés figurent des acteurs des services qui développent des solutions d’accompagnement basées sur la data : proptech de la prospection foncière (BuildRz), conseils en immobilier (CBRE) et structures publiques (Cérema). Ils ont vocation à faciliter l’identification d’actifs exploitables pour des projets de réhabilitation/reconversion.

Mysweet’immo : Quelles voies emprunter pour mobiliser le potentiel de croissance du marché ?

Lauric Berthier : Dans la plupart des cas, les acteurs privilégient une démarche partenariale pour mener à bien leurs opérations de recyclage urbain. Le spécialiste Novaxia a d’ailleurs créé une plateforme dédiée à la co-promotion pour industrialiser la démarche. Baptisée Novaxia+, celle-ci regroupait une cinquantaine de promoteurs partenaires fin 2022. La nouvelle donne liée à la mise en place d’une démarche ZAN pour des acteurs habitués à artificialiser implique de retravailler les process de prospection foncière.

Au-delà des outils publics (Cartofriches, UrbanVitaliz, etc.), certains opérateurs ont pris les devants. C’est le cas de Linkcity, qui s’est associé à la Foncière de Transformation Immobilière et la Place de l’Immobilier, pour créer un observatoire des bureaux. Cet outil ambitionne d’identifier des opportunités de transformation en logements. Les créations de fonds et closings dédiés au financement d’opérations de reconversion foncière se multiplient depuis quelques mois, entre autres dans le cadre de partenariats entre porteurs de projets et investisseurs.

La participation à des appels à projets publics constitue aussi un levier de développement important. Cela permet en effet de lever deux des principales difficultés que sont la viabilité financière des opérations, grâce aux subventions, et l’identification de bâtiments et parcelles à réhabiliter. L’essor des programmes de recyclage urbain chez les acteurs de l’immobilier est aussi poussé par les obligations de reportings extra-financiers et les enjeux d’image inhérents.

Des groupes ont ainsi pris des engagements conséquents en matière de sobriété foncière comme Vinci Immobilier qui vise le ZAN et 50% de son chiffre d’affaires issu du recyclage urbain dès 2030.

Source : Xerfi
Par MySweetImmo