Salvador : Le boom immobilier chasse les familles pauvres du littoral

Des centaines de Salvadoriens pauvres risquent l’expulsion de leurs maisons sur la côte, victimes du boom immobilier et touristique lié à la lutte antigangs du gouvernement.

Rosa Romero vérifie les documents du tribunal de Jucuaran chez elle, sur la plage d'El Higueron, sur la côte du district de Jucuaran, au Salvador, le 20 juillet 2024. Des centaines de Salvadoriens pauvres risquent de perdre les maisons qu'ils ont construites il y a des décennies sur des terres publiques. La zone côtière attire désormais des investissements dans l'immobilier et le tourisme, une autre conséquence de la croisade anti-gang du président Nayib Bukele.

© MARVIN RECINOS AFP

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Jucuarán, Salvador : Expulsions en hausse

Rosa Romero n’avait jamais pensé qu’elle pourrait un jour être expulsée de sa modeste maison située près d’une plage du Salvador. Mais le boom immobilier et le tourisme, fruits de la croisade antigangs du gouvernement, l’ont poussée dans ses retranchements.

Comme elle, à El Higueron, à 175 kilomètres au sud-est de la capitale San Salvador, des centaines de Salvadoriens pauvres risquent de perdre les maisons qu’ils ont construites il y a des décennies sur des terrains publics.

« Mes enfants et moi sommes inquiets parce qu’une dame est venue dire qu’elle était propriétaire du terrain« , raconte à l’AFP cette mère célibataire de quatre enfants, disant faire l’objet d’une procédure d’expulsion.

Sa maison est en tôle sur un sol en terre battue. A l’intérieur, pas de cloison ni de vitre aux fenêtres. Ses fils de 22 et 16 ans pêchent pour subvenir aux besoins de la famille. « Nous vivons de la mer et si nous partons d’ici, de quoi allons-nous vivre ?« , se demande-t-elle.

Rosa Romero avait 11 ans lorsqu’elle a déménagé avec sa sœur aînée pour vivre près de cette plage avec d’autres familles pauvres. La sanglante guerre civile salvadorienne (1980-1992) venait de s’achever.

Les terrains appartenaient à l’Etat et les autorités de l’époque avaient promis de donner à ces familles des titres de propriété, mais elles ne l’ont jamais fait.

La plage d’El Higueron, quasiment vierge jusqu’à récemment, attire touristes et surfeurs depuis que les conditions de sécurité se sont améliorées avec la « guerre » lancée par le président Nayib Bukele contre les bandes criminelles qui faisaient régner jusque-là la terreur. Et cela a favorisé le développement immobilier.

En août 2022, M. Bukele s’est rendu à Punta Mango, non loin de là, pour annoncer la construction d’une route menant à Surf City 2, une zone d’hôtels et de restaurants qui comprend la plage d’El Higueron.

Des panneaux indiquant « Terrains à vendre » ou « Chambres à louer » jalonnent la route, où des dizaines d’ouvriers construisent des ponts sous un soleil de plomb.

Bitcoin city et Processus de gentrification

Quelque 625 familles de la région risquent d’être expulsées, selon l’ONG Cristosal et le Mouvement indigène pour l’intégration des luttes des peuples ancestraux du Salvador (Milpa).

Les terrains « avec accès à la mer sont de plus en plus monopolisés par des groupes commerciaux » qui misent sur les touristes étrangers, note Angel Flores, de Milpa.

Le gouvernement a refusé d’évoquer le sujet.

Selon M. Flores, les mégaprojets Surf City 2 et Pacific Airport, un aéroport près de l’endroit où le gouvernement veut construire la première « Bitcoin City au monde — une métropole futuriste financée par des obligations en cryptomonnaies –, ont fait « exploser » le prix des terrains, dont l’hectare est passé de 3.000 à 28.000 dollars en deux ans.

Dans le cadre du projet Pacific Airport, le gouvernement a racheté les terrains des familles disposant de titres de propriété, mais les autres vivent dans l’angoisse.

A une centaine de kilomètres de là, sur la plage d’El Zonte, à cause du projet Surf City 1, d’hôtels et de restaurants également, quelque 125 familles doivent aussi être expulsées. On leur a promis de les reloger sur une colline voisine, mais la construction des maisons est au point mort.

Face à la plage, une femme qui tient un stand de nourriture se lamente de la perte à venir de sa maison et de son lieu de travail. La modeste commerçante de 55 ans dit sous le couvert de l’anonymat avoir appris récemment que sa nouvelle « petite maison ne lui sera pas donnée », mais qu’elle devra l’acheter.

Selon l’Institut d’opinion publique de l’Université centraméricaine (IUDOP), 13 familles sur 100 ont une « occupation incertaine du terrain où elles vivent ».

« Nous avons remarqué un processus de gentrification important mais aussi radical qui limite l’accès au logement pour les Salvadoriens« , dénonce auprès de l’AFP Laura Andrade, directrice de l’IUDOP.

Par MySweetImmo avec AFP