Le marché des crédits immobiliers à l’ancien : La chute

En dépit de taux qui n’ont jamais été aussi bas, la production de crédits immobiliers à l’ancien chute. L’analyse de Michel Mouillart.

Credit immobilier

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Les conditions de crédit restent exceptionnelles. Elles n’ont d’ailleurs jamais été aussi bonnes. A en croire nombre de commentaires, les taux devaient pourtant remonter. Comme d’ailleurs les prix devaient baisser avec la crise. Mais il n’en est rien. Et en dépit de taux qui n’ont jamais été aussi bas, la production de crédits à l’ancien chute, lourdement. Car comme cela est encore le cas aujourd’hui et comme cela le fut déjà hier, l’activité du marché dépend beaucoup plus des conditions d’octroi des crédits (les taux d’apport personnel exigés, notamment) que des conditions de crédit elles-mêmes. 

La chute des crédits immobiliers à l’ancien

Après une année 2020 de récession, la dégradation du marché s’était poursuivie durant les deux premiers mois de 2021. Mais avec l’arrivée du printemps, la demande s’est redressée suivant le profil saisonnier habituel. Elle a bénéficié d’une amélioration remarquable des conditions de crédit, avec des taux des crédits qui sont descendus à un niveau jamais constaté jusqu’alors et des durées de prêts qui se sont encore allongées. Et surtout, le redressement de l’activité qui s’est poursuivi jusqu’en juin dernier, a été rendu possible par le dynamisme d’une offre bancaire se préparant à la transposition dans la règlementation du resserrement des critères d’octroi des crédits (transposition initialement prévue pour juillet 2021, avant d’être reportée au 1er janvier 2022), jusqu’à devenir juridiquement contraignant.

Nombre de prêt

Le rythme d’évolution en glissement annuel de l’activité mesurée en niveau trimestriel glissant était ainsi redevenu positif en mars, pour afficher une augmentation particulièrement forte durant tout le 2ème trimestre, d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA : avec à fin juin, + 67.4 % pour le nombre de prêts bancaires (donc hors PTZ, PC-PAS et épargne-logement) représentant maintenant 95 % de la production de crédits.

Pourtant, dès juillet, le rythme d’évolution de la production a rechuté lourdement et le recul du marché s’est poursuivi durant tout l’été, bien au-delà du repli saisonnier habituel de la demande. Car une large partie du redressement de l’activité constaté jusqu’alors tenait à un effet d’offre qui s’est dissipé durant l’été : autant parce que les établissements de crédit avaient largement dépassé les objectifs de production qu’ils s’étaient fixés en prévision de la mise en œuvre de la nouvelle règlementation (plus contraignante) au 1er juillet, que parce qu’une application plus stricte des recommandations du HCSF va désormais peser sur l’offre nouvelle.

Ainsi et en dépit du dynamisme de l’offre bancaire qui se constatait encore en juin, le nombre de prêts mesuré à fin septembre 2021 en niveau trimestriel glissant est en diminution de 28.6 % (contre + 18.5 % en septembre 2020). C’est donc bien d’une chute dont il s’agit, comme la représentation graphique du taux de variation mesuré en trimestriel glissant l’illustre parfaitement.

Néanmoins, le nombre de prêts à l’ancien mesuré sur les 9 premiers mois de 2021 s’est accru de 5.9 % par référence à une période équivalente qui en 2020 (et il faut le rappeler) avait subi de plein fouet le choc du 1er confinement. Car au total, le nombre de prêts mesuré sur les 9 premiers mois de 2021 est en retrait de 5.9 % par rapport à celui des 9 premiers mois de 2019.

La mise en œuvre des recommandations du HCSF qui depuis deux années n’a eu de cesse de casser le dynamisme du marché de l’ancien semble bien avoir atteint l’objectif. On remarquera néanmoins au passage que le grand objectif affiché par le gouverneur de la Banque de France en janvier 2020 pour justifier le resserrement de l’accès au crédit a sensiblement évolué. Il s’agissait alors d’éviter le surendettement de ménages fragilisés par des durées trop longues et des charges de remboursement excessives, comme il le répétait dans des interviews largement reprises : mais rapidement le même gouverneur avait présenté le bilan des commissions de surendettement de la Banque de France qui montrait que le nombre de ménages surendettés par des crédits immobiliers ne cessait de se réduire ; alors que l’Observatoire du Financement du Logement de l’Institut CSA a permis d’établir que les charges de remboursement des ménages détenant des crédits immobiliers reculait rapidement. Aussi, plus récemment (HCSF, annexe du communiqué de presse, 14 septembre 2021), l’argument (déjà connu des milieux bancaires) qui semble avoir emporté la décision du HCSF a été clairement identifié : « le Comité européen du risque systémique (CERS/ESRB) qui a alerté officiellement la France sur les risques liés au marché immobilier résidentiel le 23 septembre 2019 » !

Des taux d’apport personnel toujours plus élevés

En dépit de conditions de crédits exceptionnelles, avec des taux descendus à leurs niveaux le plus bas constatés depuis la fin des années 40, l’activité du marché des crédits à l’ancien a tout d’abord trébuché, pour mieux reculer durant l’été. Ce n’est donc pas parce que la solvabilité de la demande était (très) bonne, que par le passé l’activité du marché de l’ancien était montée au zénith. Et ce n’est pas parce que la solvabilité de la demande s’est détériorée que l’activité a reculé : car la solvabilité de ceux qui peuvent rester ou prétendre rentrer sur le marché de l’ancien compte tenu de la double contrainte des prix des logements et des exigences d’apport personnel est (presque) excellente !

Pour résumer cela autrement, le marché se développe ou se contracte selon que les taux d’apport personnel exigés sont faibles ou élevés.

Et en l’occurrence, le niveau de l’apport personnel mobilisé par ceux qui peuvent rentrer sur le marché de l’ancien progresse toujours très rapidement d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA (+ 13.1 % sur les 9 premiers mois de 2021, en glissement annuel, après + 12.3 % en 2020 : soit plus de 33 % depuis décembre 2019 !). Les taux d’apport personnel ont donc littéralement « explosés », en hausse de 31 % depuis la 1ère recommandation du HCSF : ils étaient descendus à des niveaux jamais observés par le passé, permettant au marché de se développer comme jamais, grâce à l’arrivée sur le marché de ménages jeunes ou modestes qui maintenant n’ont plus accès au crédit.Car en limitant l’accès au crédit de ceux dont l’apport personnel était insuffisant pour respecter la « nouvelle règle » d’un taux d’effort inférieur à 35 % (même si le respect de cette exigence n’a pas été une pratique forcément répandue parmi les établissements distributeurs), il était évident qu’une large part des emprunteurs faiblement dotés en apport personnel (familles monoparentales, familles modestes avec enfants, jeunes en début de carrière, en milieu rural ou dans les villes moyennes, …) allait être évincée du marché. Comme si, en fait, la Banque de France et le ministère de l’Economie qui préside le HCSF souhaitaient réserver l’accession à la propriété aux seuls ménages aisés …

Mais des taux d’intérêt au plus bas

Le lien entre taux bas et dynamisme de la demande a encore une fois révélé sa fragilité. Néanmoins, il est de fait que les conditions de crédit exceptionnelles permettent à ceux qui disposent d’un apport personnel suffisant pour s’endetter, de supporter des charges de remboursement allégées.

Car en octobre, le taux moyen des crédits du secteur concurrentiel accordés (les taux nominaux, hors assurance et coût des sûretés) s’est maintenu pour le 3ème mois consécutif à 1.05 % d’après l’Observatoire Crédit Logement/CSA, au niveau le plus bas constaté (statistiquement) depuis plus de 70 ans. Ce taux a donc reculé de 21 points depuis juin 2020, le dernier point haut observé durant le 1er confinement. Et tous les emprunteurs qui ont pu entrer sur le marché ont bénéficié de cette baisse, quel que soit le niveau de leurs revenus ! On remarquera à cet égard que les évolutions des taux d’usure tant commentés par certains intermédiaires et si souvent redoutées n’ont été de pratiquement aucune influence sur les évolutions des taux moyens, quelle que soit la durée des crédits octroyés : depuis dix années, par exemple, le recul des taux est comparable entre les différentes durées proposées à l’origine !

Enfin, on notera que les « meilleurs » des emprunteurs (les 25 % des emprunteurs qui disposent d’un apport personnel important et/ou de revenus élevé et réguliers) peuvent toujours obtenir un taux moyen inférieur à 1 %, même sur les durées les plus longues : avec, par exemple, un taux moyen à 0.77 % sur 20 ans et même à 0.63 % sur 15 ans, alors que le rythme de l’inflation (indice des prix harmonisé, IPCH) s’est établi 1.25 % en septembre. Mais cet « avantage », un taux d’intérêt réel redevenu négatif depuis août dernier, n’est pas réservé qu’aux seuls emprunteurs les plus aisés ! Car désormais, plus de 80 % des emprunteurs bénéficient des crédits à des taux inférieurs à l’inflation, même sur les durées à 25 ans …

Michel Mouillart, Professeur d’Economie, FRICS
Le marché des crédits immobiliers examiné ici est celui des particuliers résidents : donc, hors les entrepreneurs individuels (commerçants, artisans, professions libérales … y compris pour leurs opérations mixtes) et les non-résidents. Il ne concerne que les crédits accordés afin de financer une opération immobilière : donc, hors les renégociations et les rachats de crédits ; mais aussi hors les prêts relais ou les paiements de soulte, par exemple.