Immobilier logistique : Les entrepôts, passages obligés de la réindustrialisation à la française ?

Coup dur pour l’immobilier logistique. La demande d’entrepôts fait face à de fortes baisses. Comment y faire face? Décryptage avec Vincent Desruelles, directeur d’études chez Xerfi.

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Après le trou d’air de 2023, l’immobilier logistique peut-il rebondir ?

Vincent Desruelles : La demande d’entrepôts aura chuté de 14% en 2023 (à environ 3,2 millions de m2) avec une pénurie marquée en Rhône-Alpes et PACA. Les transactions ont, elles, plongé de 73% au premier semestre 2023 par rapport à 2022, augurant un exercice en forte baisse en moyenne annuelle. Toutefois, l’immobilier logistique devrait rebondir.

Selon les prévisions de Xerfi , le repli de la demande sera plus modéré en 2024 (-5%), avant une inversion de tendance en 2025. L’amélioration progressive de la situation des utilisateurs (prestataires logistiques, distributeurs et industriels) permettra en effet ce rebond.

L’environnement des utilisateurs d’entrepôts, notamment des commerçants et ecommerçants, sera peu à peu moins perturbé par l’inflation qui devrait revenir dans notre scénario central autour de 2%.

Les projets d’amélioration de l’architecture logistique et de renforcement du maillage territorial reprendront, avec à la clé des prises à bail et des lancements de commandes pour de nouveaux entrepôts. La contrainte d’offre ne sera pas complètement desserrée d’ici là, mais une légère amélioration sera perceptible. La reprise des autorisations, notable en cours d’année 2023, devrait continuer. Ce qui se traduira par une hausse progressive des surfaces commencées 2024 et 2025.

Les investisseurs et développeurs ont de plus rivalisé d’initiatives pour identifier des terrains disponibles, en se positionnant notamment sur des friches et autres projets de réhabilitation.

Au final, la demande placée en immobilier logistique progresserait de 15% en 2025 (3,5 millions de m2 ), soit un niveau encore 6% en dessous de celui de 2022, selon nos prévisions. Ce retour à meilleure fortune du marché de l’immobilier logistique ne doit en réalité rien au hasard. D’abord, les besoins des marchés clients en matière d’entrepôts sont toujours conséquents.

Ensuite, les fondamentaux sont solides et connaissent un renouvellement porté par le segment urbain. À noter : les disparités régionales devraient persister. Le marché d’Île-de-France a fortement souffert en 2023 du point de vue de la demande placée, en raison de la hausse des loyers et d’une offre déficitaire.

En comparaison, d’autres régions comme les Hauts-de-France et PACA ont montré une résistance relative. Quant à la « 4e couronne », à la frontière de la région parisienne, elle a bénéficié d’un effet de report. Pour les entreprises très actives en Île-de-France, il est essentiel de revoir les stratégies de localisation et d’investissement.

Quelles peuvent être les grandes stratégies d’adaptation des acteurs ?

Vincent Desruelles : Les acteurs vont devoir composer avec un marché en pleine mutation. Premièrement, il va leur falloir anticiper les mouvements des marchés clients clés d’ici 2025. En 2023, l’industrie manufacturière a progressé de 1,5%, surtout portée par le secteur automobile et l’aéronautique. Toutefois, l’automobile pourrait connaître un ralentissement dès

Par ailleurs, la fin d’une période faste se profile dans le négoce. Le commerce de détail, lui, subit une perte de confiance des consommateurs qui se tournent vers des produits plus abordables. Un mouvement qui se poursuivra d’ici deux ans. Quant au e-commerce, son ascension devrait perdurer d’ici 2025 mais de façon ralentie.

Les acteurs de l’immobilier logistique adaptent donc leurs investissements aux secteurs clients en croissance, et en premier lieu au e-commerce. Deuxièmement, avec un cadre réglementaire de plus en plus contraignant sur les émissions de CO2 du transport de marchandises, les décideurs de la filière de l’immobilier logistique doivent investir massivement dans les entrepôts bas carbone et adopter des pratiques écoresponsables. Cela passe entre autres par la réhabilitation de friches industrielles. Pour les investisseurs, la labellisation ISR permet non seulement de renforcer leur image éthique mais aussi générer des rendements attrayants.

Tertio, pour s’insérer dans la logistique urbaine, adopter une approche multidimensionnelle est indispensable. Cela consiste à investir dans l’immobilier logistique adapté aux nouveaux besoins du retail, tout en explorant des partenariats avec des entreprises technologiques pour optimiser le traitement des flux au sein des hubs logistiques. Répondre aux besoins d’omnicanalité des distributeurs est également impératif. A ce titre, investir dans des infrastructures adaptées et des technologies avancées (comme le RFID et la robotisation) pour soutenir les initiatives de ship-from-store des groupes et enseignes de distribution est indispensable.

Enfin, la France s’oriente vers une ré-industrialisation, avec des défis à relever comme la complexité administrative pour la construction de tels sites et la disponibilité foncière. Malgré tout, ce mouvement est un véritable relais de croissance pour les professionnels de l’immobilier logistique. En vue de la ré-industrialisation et des exigences croissantes de secteurs clients comme les distributeurs, travailler étroitement avec les décideurs locaux pour déverrouiller les freins autour de la construction de nouveaux hubs logistiques est une piste à creuser.

Comment va s’organiser demain le paysage concurrentiel de la filière ?

Vincent Desruelles : La filière de l’immobilier logistique s’articule autour d’une trentaine de groupes majeurs. Parmi ces figures de proue, on note une prépondérance de spécialistes à la notoriété bien établie tels qu’Argan, Barjane, Prologis et Segro. Si certains se positionnent comme des gestionnaires investisseurs et développeurs, d’autres exercent un unique métier (promoteur ou contractant général). Les acteurs français se caractérisent aussi par une forte empreinte internationale.

En particulier, les géants du secteur ont des moyens très importants pour financer leur développement sur le territoire. Ils ont été rejoints récemment par le groupe Panattoni. Parallèlement, des sociétés de gestion internationales comme Blackstone, Carlyle et JP Morgan AM sont également actives dans ce secteur en France. Pour rester compétitif sur la scène internationale, les entreprises françaises doivent investir dans la R&D et l’innovation.

La création d’alliances entre investisseurs et développeurs pour échanger des compétences et accéder à de nouveaux marchés semble aussi une piste à explorer. La complexité croissante du secteur logistique et ses multiples enjeux pousse les clients à se tourner de préférence vers des entreprises « expertes » des entrepôts ou hubs logistiques. La mutualisation des compétences peut aussi s’envisager. Avec des projets industriels d’envergure prévus en France (batteries électriques ou production d’hydrogène vert par exemple), une forte demande en surfaces d’entrepôts est anticipée. Cela pourrait renforcer la concurrence sur ce segment, faire émerger des spécialisations, et potentiellement entraîner des fusions-acquisitions ou l’arrivée de nouveaux acteurs internationaux sur le marché.

Dans les régions à fort potentiel industriel, une stratégie solide d’acquisition de terrains et de développement d’infrastructures adaptées pourrait permettre aux entreprises de faire la course en tête.

Source : Xerfi
Par MySweetImmo