Immobilier : « Cette crise est historique, il faut repenser le système de fond en comble », Philippe Briand

Refonte de la fiscalité notamment sur les plus-values, choc d’offre, prime à la casse pour le logement… Philippe Briand, président fondateur du groupe Arche (Citya, Laforêt, Guy Hoquet, Century 21, Nestenn…), livre ses solutions pour faire face à la crise historique de l’immobilier. Et aborde la situation de son groupe. Interview exclusive par Ariane Artinian.

Philippe Briand, au siege du groupe Arche a Tours, debout dans un couloir lumineux avec des plantes, portant une veste de costume et des lunettes

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Philippe Briand, au siège du groupe Arche à Tours.

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Philippe Briand, fondateur de la holding Arche comprenant plus de 2800 agences sous les enseignes Citya Immobilier (2ème acteur de l’administration de biens en France) ou les franchises immobilières Laforêt, Guy Hoquet, Century 21 et Nestenn, expose sa vision de la crise de l’immobilier et livre son analyse à Ariane Artinian. Interview exclusive.

MySweetImmo : Quel regard portez-vous sur la crise de l’immobilier ?

Philippe Briand : Nous vivons l’une des crises les plus importante depuis la Deuxième Guerre mondiale. La population augmente, la décohabitation est en hausse, mais on ne sait pas répondre à la demande.

De plus en plus de gens vivent dans la rue, et les couples qui ne s’aiment plus ne peuvent plus se séparer.

La situation des étudiants est alarmante : l’an dernier, 16% des jeunes admis via Parcoursup ont renoncé à leurs études faute de logement, cette année ce sera la même chose, voire plus !

Évidemment, l’impossibilité de relouer des appartements qui ne répondent pas aux normes d’isolation et d’économie d’énergie aggrave la situation. On interdit la location de logements mal isolés ; des travailleurs pauvres, des caissiers de supermarché dorment dans leur voiture.

L’ampleur du déficit de production de logements est telle que la pénurie locative va s’accentuer dans les mois à venir.

Et pour couronner le tout, tout est fait pour dissuader les investisseurs de placer leur argent dans l’immobilier. S’ils achètent des actions américaines comme Microsoft ou Apple, ils sont imposés à un taux plafonné de 30%. Mais s’ils investissent dans un logement en France, ils sont soumis à l’impôt sur le revenu qui peut facilement atteindre 40%, à la taxe foncière qui a doublé en trois ans dans certaines communes, à l’IFI… et à un rendement locatif nul. Avec toutes ces charges, les propriétaires n’ont plus les moyens d’investir dans la rénovation.

Le marché se fige et se gèle, ce qui réduit le turnover dans le marché locatif. D’autant que la crise touche aussi le logement social. Les offices HLM construisent beaucoup moins.

MySweetImmo :  L’encadrement des loyers est-il la solution pour permettre aux Français de se loger ?

Philippe Briand : Non, bien au contraire. Lorsque les loyers sont plafonnés, les propriétaires privilégient les meilleurs dossiers et les meilleurs profils.

Résultat ? Seules les personnes ayant une belle situation peuvent accéder aux logements. Les classes intermédiaires et les plus fragiles sont exclus du marché.

MySweetImmo : Que recommandez-vous pour relancer l’investissement locatif ?

Philippe Briand : Il ne faut pas oublier que les investisseurs sont motivés avant tout par la rentabilité. Quand vous investissez dans l’immobilier et remboursez vos dettes chaque mois, vous vous constituez une épargne, mais si cette épargne ne rapporte rien, vous cessez d’investir.

Placer 400 000 euros à la banque à 4% rapporte 16 000 euros par an alors que le rendement de l’immobilier est proche de zéro. C’est tout le système immobilier qu’il faut repenser !

Aujourd’hui, nous sommes dans une surenchère de complexité, avec des interventions désordonnées de l’État et des collectivités territoriales, ce qui ne fonctionne pas.

Dans les villes où les impôts fonciers ont beaucoup augmenté, nos clients multi-investisseurs préfèrent vendre leurs biens !

MySweetImmo : Les caisses de l’État sont vides. Que doit faire le gouvernement ? Quelles sont vos recommandations ?

Philippe Briand : L’augmentation de la taxe foncière dans les villes où les loyers sont plafonnés est une hérésie.

La première chose à faire est d’intervenir pour limiter les hausses d’impôts là où les loyers sont plafonnés pour arrêter de décourager les investisseurs.

Ensuite, il faut revoir la fiscalité de l’impôt sur les plus-values. En France, vous êtes exonéré de l’impôt sur les plus-values au bout de 25 ans. Ne pourrait-on pas ramener cette limite à 15 ans ? Le manque à gagner pour l’État serait largement compensé par les recettes issues des droits de mutation. Il faut tout mettre en place pour créer un choc d’offre.

MySweetImmo : Vous êtes un partisan de la destruction/reconstruction ?

Philippe Briand : Je plaide pour le discernement. Certains immeubles dotés d’une bonne distribution, d’une bonne épaisseur, de plateaux poutres peuvent faire l’objet d’une réhabilitation mais d’autres méritent d’être purement et simplement détruits – regardez ces immeubles qui se sont éboulés à Marseille et dans d’autres villes.

La réhabilitation coûte quasiment le même prix que la construction neuve, environ 2 500 euros le mètre carré. Pourquoi ne pas réfléchir à une prime à la casse de logement comme on a fait une prime à la casse des voitures anciennes et polluantes ? Si l’on veut réellement réhabiliter, il faut avoir un plan de destruction et de reconstruction de logements de bonne qualité.

MySweetImmo : Faut-il inviter les propriétaires de logements vides à les remettre sur le marché ?

Philippe Briand : Le chiffre de 8% de logements libres en France est un mythe ! Nous gérons un parc de 400 000 logements, nous avons un parc d’environ 1 200 000 lots de copropriétés, et je ne connais aucun propriétaire qui laisse volontairement son logement vide.

La réalité, c’est que certains enlèvent leurs biens du marché parce qu’ils n’ont pas les moyens de les rénover, notamment dans des quartiers paupérisés où il est difficile de trouver des locataires. Et que d’autres les laissent vides, oui, mais le temps de régler la succession.

MySweetImmo : Vous dénoncez l’impact de la production de logements sur l’économie ?

Philippe Briand : Pour chaque logement neuf construit en France, la TVA de 20% va directement dans les poches de l’État.

Pour un bien neuf vendu en moyenne à 300 000 euros, 60 000 euros sont des recettes de TVA. Une baisse de la production de 150 000 unités représente une perte de 9 milliards d’euros de recettes fiscales.

Et ce n’est pas tout. Cela signifie aussi moins de travail pour les entreprises de construction, moins de formation pour les apprentis, et moins de recettes d’impôt sur les sociétés. Cela réduit aussi la disponibilité de logements et affecte en premier lieu les étudiants et les familles modestes.

En gros, si vous êtes riche, vous trouverez toujours un logement pour votre enfant à Lyon, Bordeaux ou Toulouse, mais si vous êtes juste financièrement, vous resterez dans l’impasse. La soi-disant politique sociale de certaines municipalités écarte les plus modestes. Il est impératif de créer un choc de l’offre pour résoudre cette situation.

MySweetImmo : Comment voyez-vous l’avenir ?

Philippe Briand : Je suis paradoxalement assez optimiste. Parce que nous arrivons au bout d’un système et que nous allons nécessairement devoir le recréer.

Se loger est un besoin primaire tout comme se nourrir et se vêtir. Il faut faire attention à ce que l’immobilier ne soit pas trop cher. Et pour cela, il faut repenser le système, revoir la fiscalité sur les plus-values et refaire de la création de logements.

MySweetImmo : Comment se porte la maison Arche dans cet environnement difficile ?

Philippe Briand : Nous nous portons raisonnablement bien. Notre trésorerie fond gentiment mais nos fonds propres nous permettent de maintenir l’emploi des collaborateurs. Nous prévoyons d’ailleurs de faire 1500 recrutements cette année. Nous serons prêts au moment de la reprise.

Nos entreprises Citya sont solides parce qu’elles réalisent beaucoup de gestion immobilière et qu’elles ont de plus en plus de clients. Quant à nos franchisés, ils se battent sur le terrain et résistent mieux que les indépendants qui traversent les épreuves seuls.

Les professionnels qui mettent la clé sous la porte sont souvent ceux qui ont profité des années pour changer de voiture ou s’offrir un bateau, ce n’est pas l’esprit de la maison. Ceux qui ont constitué des fonds propres vont survivre à la crise !

MySweetImmo : Qu’est-ce qui vous anime ?

Philippe Briand : Ma seule vraie passion, hormis ma famille, c’est le développement de l’entreprise à laquelle j’ai consacré ma vie. J’ai renoncé à être ministre en quittant au bout de trois semaines le gouvernement Raffarin II, parce qu’il fallait que je choisisse entre l’entreprise et la politique.

Ce qui me rend heureux, c’est quand Glassdoor nous distingue sur le bonheur des salariés au travail, quand Les Echos-HCG nous récompensent pour la qualité de notre service client. À la convention Century 21 monde, il y a quelques semaines à Las Vegas, j’étais très fier que Century 21 France remporte le prix des meilleurs développeurs du monde, c’est une belle récompense pour l’équipe qui ne ménage pas sa peine.

Ma plus grande fierté, c’est de penser que 24 000 familles vivent parce qu’on a monté une entreprise solide. C’est presque autant qu’Airbus en France. Ce n’est pas rien.

Par Ariane Artinian