Formation des prix en immobilier : comment anticiper ?

Avec un marché immobilier qui entame un cycle baissier dans la plupart des grandes villes de France, MySweetImmo s’interroge sur la formation des prix, au-delà du rapport entre l’offre et la demande.

main examinant une maison avec une loupe

© adobestock

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Comment évaluer la valeur objective d’un bien ? Quels sont les potentiels facteurs de dépréciation des prix dans les années à venir ? Nicolas Delage, expert immobilier indépendant à Bordeaux et sur le bassin d’Arcachon, nous livre son analyse sur les critères à prendre en compte dans la valorisation d’un bien, pour mieux comprendre les enjeux de la formation des prix.

MySweetImmo : Comment estimer objectivement le prix d’un bien aujourd’hui et quels sont les facteurs pris en compte?

Nicolas Delage : L’évaluation objective d’un bien est réalisée à un moment T, à partir de bases données référençant les différentes transactions (par exemple DVF, PATRIM, PERVAL). Chacune ayant ses avantages et inconvénients, je croise et retraite les données afin d’en tirer les éléments les plus pertinents pour obtenir une vision globale du marché. Afin de préciser l’analyse, il faut également prendre en compte les facteurs endogènes et exogènes du bien. Une attention particulière est ainsi portée aux facteurs géographique, physique, économique, juridique, fiscal et politique. Une fois tous ces éléments identifiées, différentes méthodes sont utilisées par l’expert (méthode par comparaison, méthode par capitalisation, méthode par actualisation des flux de trésorerie future…) afin de déterminer la valeur vénale du bien et/ou droit immobilier.

C’est donc l’analyse de l’ensemble de ces éléments, confrontée aux tendances de marché et au marché de l’annonce immobilière, qui permet in fine d’obtenir une valeur objective et juste. Elle va plus loin que la simple analyse de l’offre et de la demande dans un quartier donné, et permet de pointer les facteurs de risque à plus long terme.

MySweetImmo : Quels sont les nouveaux éléments qui impactent la valeur d’un bien aujourd’hui ?

Nicolas Delage : Le marché, avec sa part de subjectivité, peut parfois mettre du temps à réagir à certaines évolutions en matière de législation ou d’urbanisme. C’est le cas par exemple avec l’imposition d’un seuil de performance énergétique pour louer un bien, pourtant décrétée en 2021, que le marché commence tout juste à prendre compte en raison de son application en 2023.

A Bordeaux, un de mes secteurs d’expertise, cette loi fait évoluer mécaniquement la valeur vénale des biens, notamment des petites surfaces, tout comme les nouvelles pratiques locales. En effet, le permis de louer, le permis de diviser et l’encadrement des loyers, impactent les prix des immeubles et appartements bordelais, en fonction de leur localisation dans la ville : nous pouvons donc apporter une décote conséquente sur un bien similaire à un autre, mais soumis ou non au permis de louer et tenant compte de sa situation (zone) en termes d’encadrement des loyers.

Pour rappel, l’encadrement des loyers applicables à la commune de Bordeaux recense différentes zones à l’intérieur desquelles il existe un loyer maximum applicable au m2.

Cet encadrement des loyers, couplé notamment au permis de diviser, peut entraîner une réticence des investisseurs locatifs à acheter, puisque la division est soumise à autorisation préalable, avec un rallongement des délais et une incertitude quant à la faisabilité de l’opération, le tout avec une rentabilité moindre.

Si on rajoute à cela l’envolée des taux des Bons du trésor et des OAT qui sont aujourd’hui aux alentours de 3 % à 10 ans, l’investissement immobilier devient moins intéressant qu’avant, ce qui impute le marché d’une partie de ses potentiels acquéreurs.

On observe donc mécaniquement une baisse des prix des biens type appartements situés dans ces zones, baisse d’autant plus forte si ces derniers demeurent classés en bas de l’échelle de performance énergétique. A contrario, le marché des maisons avec jardin acquis en résidence principale se maintient et observe des hausses encore importantes dans certains secteurs périphériques comme Gradignan, s’il on se réfère au marché bordelais.

MySweetImmo : Quels sont les points de vigilance quant à la décote de la valeur d’un bien à plus long terme ?

Nicolas Delage : Si je devais retenir deux grandes tendances qui vont être de plus en plus prise en compte par le marché, je parlerais de l’influence du « réchauffement climatique » et par conséquent de la valeur verte et de l’exposition au risque.

Une ordonnance du 6 avril 2022, préconise une méthode de calcul spécifique pour les biens immobiliers exposés à l’érosion et au recul du trait de côte, en leur appliquant une décote relativement conséquente selon les cas d’espèces. Si le trait de côte, pour être opposable doit être inscrit dans le PLU, cette méthode de détermination de la valeur vénale de ces biens aura un impact direct sur le prix des biens soumis au trait de côte, que l’on peut donc anticiper.

Ainsi, bon nombre de maisons en première ligne au Cap Ferret pourraient voir leur valeur vénale fortement diminuer. Il en est de même avec les risques d’inondation et de submersion, dont les conséquences désastreuses n’ont pas encore été tirées dans la formation des prix. Par exemple, à La Teste-de-Buch, un des quartiers le plus recherchés et chers, celui du port, est pourtant situé en zone rouge du Plan de prévention risque inondation.

Au même titre que les appartements classés F et G voient leur valeur impactée par la législation avec retard, les maisons situées sur ces terrains à risque devraient donc voir leur valeur baisser, toute chose égale par ailleurs, au fur et à mesure que l’exposition au risque sera prise en compte par le marché, où que le risque se réalisera. Une inondation majeure se produisant sur le bassin d’Arcachon entraînerait certainement une baisse significative de la valeur vénale de ses biens immobiliers.

Là encore, il s’agit d’être informé voire d’anticiper, et d’estimer au mieux la valeur de son bien, par exemple pour accélérer un projet de vente avant une baisse probable identifiée.

MySweetImmo : Quelle est la valeur d’une expertise comparée à un avis de valeur ?

Nicolas Delage : Mon métier m’impose le secret professionnel et l’absence de conflit d’intérêt dans mon analyse. L’évaluation vénale opérée par un expert immobilier, se doit d’être parfaitement impartiale, indépendante et objective. Le second est son caractère opposable juridiquement. Ainsi, différents codes consacrent le fait que l’évaluation du bien immobilier doit être réalisée par un expert en évaluation immobilière justifiant de sa compétence professionnelle, et indépendant du processus de décision d’octroi du prêt, afin de fournir une évaluation impartiale et objective ; il doit faire application de normes d’évaluation fiables, tenant compte des normes reconnues au niveau international.

L’intérêt de réaliser une expertise vénale d’un bien peut donc tenir dans la volonté d’obtenir une estimation objective de son patrimoine, par exemple dans le cas d’une succession, d’un divorce ou de l’imposition au titre de l’IFI, ou dans celui d’un projet de vente avec ou sans travaux, de s’assurer des potentialités d’un bien et de sa valeur, pour éviter de le surpayer.

Aujourd’hui, les professionnels de l’immobilier – comme les promoteurs et les marchands de biens – recourent d’ailleurs davantage aux experts immobiliers.




Par Julie Mallet-Cocoual
Merci à Nicolas DELAGE, Expert en évaluation immobilière agréé par la Chambre des Experts Immobiliers de France, d’avoir répondu aux questions de MySweet’Immo.