Immobilier : L’étendue du devoir de conseil des professionnels de l’immobilier

Les notions de devoir de conseil et d’ obligation d’information qui pèsent sur les agents immobiliers ont été étendues au fil des années par la jurisprudence. Décryptage avec Dorothée de Saintloup, juriste chez Modelo.

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En tant que professionnel de l’immobilier, l’agent immobilier a un devoir de conseil.

A ce devoir est communément associée une obligation d’information, c’est-à-dire une obligation de s’informer lui-même et celle d’informer ses clients.

D’une part, cela lui permet, d’assurer la validité ainsi que l’efficacité juridique des actes qu’il rédige et qu’il fait signer. Et d’autre part, répondre à cette obligation lui permet d’écarter tout risque de mise en jeu de sa responsabilité.

Ces 2 notions, devoir de conseil et obligation d’information, pesant sur les professionnels de l’immobilier, ont été abondamment étendues par la jurisprudence au fil des années.

Quelle est l’étendue du devoir de conseil de l’agent immobilier ?

Les professionnels de l’immobilier sont investis d’un devoir de conseil et d’information extrêmement large. Il prend naissance avant même toute conclusion de contrat, c’est-à-dire dès la prise de contact appelée aussi l’entrée en relation d’affaires.

Ce devoir oblige l’agent immobilier à :

  • Informer sur les prestations proposées, les honoraires pratiqués, les modalités de paiement, le droit de rétractation, etc,
  • Expliquer et assurer la bonne information des clients sur les termes du mandat, les engagements pris par le mandant,
  • Vérifier l’identité, la capacité, les pouvoirs des clients, le titre et le droit de propriété, la solvabilité des locataires et acquéreurs,
  • Transmettre toutes les informations relatives aux caractéristiques essentielles du bien à louer ou à vendre (description, consistance, configuration, travaux, constructibilité, copropriété, lotissement, environnement, servitudes, destination, etc.). Toutes ces informations sont celles qui sont portées à sa connaissance par les clients mais également celles qu’il recueille par ses propres investigations.
  • Prévenir des démarches et formalités en cas de projet de travaux par le locataire ou l’acquéreur, avertir un locataire ou un acquéreur des risques de son projet, renseigner sur les solutions éventuelles afin d’éviter tout différend,
  • Recueillir tous les renseignements relatifs à une opération pouvant influencer le consentement des parties ou y faire obstacle,
  • Renseigner des règles en cas de projet de défiscalisation ou encore assurer la retranscription de l’ensemble des conventions et des informations relatives à l’opération projetée dans l’acte qu’il rédige afin de garantir une prise de décision libre et éclairée des parties.

Quelques illustrations jurisprudentielles

En tant qu’intermédiaire dans une opération de vente ou de location, l’agent immobilier est tenu à une obligation de se renseigner pour informer ensuite ses clients et attirer leur attention sur l’état du bien et les risques de l’opération (Cass., Civ. 3ème, 8 avril 2014, n°09-72.747).

Le devoir de conseil du professionnel de l’immobilier s’impose à lui à toutes les étapes de l’opération pour laquelle il est mandaté.

Il incombe ainsi à l’agent immobilier d’informer, dès la prise de mandat, les vendeurs de mauvaise foi de la nécessité de porter à la connaissance des acquéreurs l’état d’avancement du projet de rocade à proximité de l’immeuble vendu (Cass. 3e civ. 9-1-2023 n° 18-10.245).

L’agent immobilier doit vérifier la solvabilité de l’acquéreur et justifier avoir conseillé aux vendeurs de prendre des garanties ou les avoir mis en garde contre le risque d’insolvabilité de l’acquéreur qu’il leur avait présenté (Cass. 1e civ. 11-12-2019 n° 18-24.381)

Il doit informer les acquéreurs sur le fait qu’un certificat d’urbanisme non opérationnel est un document purement informatif qui ne permet pas de vérifier la constructibilité du terrain au regard du plan local d’urbanisme (Cass. 3e civ. 26-10-2022 n° 21-21.213)

Le devoir de conseil auquel est tenu l’agent immobilier lui impose d’informer l’acquéreur de l’immeuble, vendu par son entremise, de l’existence des désordres apparents affectant celui-ci, qu’en sa qualité de professionnel de l’immobilier, il ne pouvait ignorer que l’immeuble était affecté d’importantes traces d’infiltrations et que les menuiseries des deux chiens assis et lucarnes étaient fort dégradées avec des infiltrations visibles sur la façade principale (Cass. 3e civ. 21-12-2023 n° 22-20.045).

En sa qualité de professionnel mandataire du vendeur, il doit mentionner dans la promesse de vente les caractéristiques essentielles du bien vendu, telles que le type et la date de la construction. Il peut être condamné solidairement avec le diagnostiqueur ayant établi l’absence d’amiante à tort (Cass. 3e civ. 16-3-2023 n° 21-25.082)

Existe-t-il des limites au devoir de conseil ?

Comme pour son étendue, les limites du devoir d’information et de conseil sont posées par la jurisprudence. Ainsi la jurisprudence a considéré que, bien qu’il soit un professionnel de l’immobilier, l’agent immobilier n’est ni un professionnel de la construction ni un professionnel de la fiscalité. Il ne peut pas non plus être tenu responsable des vices ou informations cachés, délibérément ou non, par ses clients.

En ce sens, l’agent immobilier n’a pas à informer les acquéreurs qu’aucune extension des pièces à vivre ne sera possible, dès lors que ceux-ci ne l’ont pas tenu informé de ce projet (Cass. 3e civ. 13-7-2022 n° 20-21.293 F-D :  BPIM 5/22 inf. 372).

De même bien que l’agent immobilier soit tenu d’un devoir d’information et de conseil qui l’oblige à alerter ses mandants des risques propres à la vente projetée et à s’assurer de la réunion des conditions nécessaires à la validité et à l’efficacité de l’acte signé avec son concours, ce devoir s’inscrit dans le cadre de sa compétence qui n’est pas celle d’un professionnel de la fiscalité et en tant que tel n’a donc pas commis de manquement à son devoir d’information et de conseil qui aurait vicié le consentement du vendeur (CA Toulouse 23-5-2023 n° 21/01979, CA Paris 16-4-2008 n° 07/07938). Au contraire, si un bien est commercialisé sous un régime de défiscalisation, le professionnel de l’immobilier est tenu de donner une information claire et complète sur les risques inhérents à l’investissement proposé et sur les conditions du bénéfice de l’avantage fiscal annoncé (Cass. 3e civ. 7-11-2019 n° 18-21.258).

En revanche, les juges considèrent que l’agent immobilier n’est pas tenu d’informer les parties de ce qu’elles savent déjà (Cass. 3e civ. 7-11-2019 n° 18-21.473). Ainsi sa responsabilité peut être écartée s’il est établi que l’acquéreur a été clairement informé de l’humidité présente dans certains murs, et donc des risques potentiels d’infiltrations (Cass. 3e civ. 7-11-2019 n° 18-21.473). Il en est de même si l’acquéreur professionnel a été averti lors de la vente de risques potentiels de mérule et a renoncé à demander la réalisation d’un diagnostic (Cass. 1e civ. 16-3-2022 n° 20-22.341 F-D :  BPIM 3/22 inf. 222).

Et dernièrement, la responsabilité de l’agent immobilier n’a pas été retenue dans une affaire où il résultait du procès-verbal de constat et du rapport d’expertise que les fissures et lézardes affectant l’intérieur de la maison pouvaient être décelées en raison des nombreux plis affectant le revêtement mural les recouvrant, que l’acquéreur avait pu lui-même constater au cours des deux visites réalisées avant la vente. Le désordre structurel affectant l’immeuble n’avait été révélé que par l’expert judiciaire, et n’avait été décelé ni par les diagnostiqueurs immobiliers, ni par le bureau d’étude mandaté par l’acquéreur. Les juges en ont déduit que, même si la présence d’une lézarde affectant le mur porteur intérieur au sous-sol avait pu être constatée par l’agent immobilier, il n’était pas établi, celui-ci n’étant pas un professionnel de la construction, que cela lui aurait permis d’envisager l’existence d’un désordre général d’ordre structurel, ce dont il ressortait que l’acquéreur n’avait été privé d’aucune information dont il ne disposait pas lui-même ( Cass. 3e civ. 21-12-2023 n° 22-21.518).

Devoir de conseil de l’agent immobilier, ce qu’il faut retenir

L’agent immobilier doit nécessairement communiquer l’ensemble des informations nécessaires à la prise de décision libre et éclairée de ses clients, que ce soit sur le service proposé ou sur les risques de l’opération projetée.

En tant que professionnel, il doit se prémunir et rapporter la preuve qu’il a assurément informé ses clients de l’ensemble des renseignements utiles à leur prise de décision. En les stipulant dans son acte (mandat, compromis, bail, etc.), il répond à la fois à son devoir de conseil et d’information et se protège de tout recours. A défaut, il peut voir sa responsabilité engagée sur le fondement de la faute, de la négligence ou même pour manquement à son devoir de conseil.

Par Dorothee de Saintloup, juriste, Modelo