Crise de l’immobilier : Les Proptech ont mangé leur pain blanc…

Après une année 2022 record, les Proptech entrent en zone de turbulences. La donne change dans le secteur de l’immobilier et dans celui du capital risque. Zoom sur l’étude Xerfi « Proptech face au retournement des marchés immobiliers – Analyse des risques et des perspectives d’ici 2024 – Évolutions des stratégies et des relations avec les groupes leader.

De jeunes collaborateurs en train de brainstormer au cours d'une reunion pour illustrer la proptech

© adobestock

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Les difficultés des marchés immobiliers reconfigurent déjà la Proptech

Les proptech entrent en zone de gros temps. Certes, elles sortent d’un exercice 2022 exceptionnel, marqué par des levées de fonds record de 465 M€. Le secteur a bénéficié de la confiance des investisseurs et a gagné en maturité avec davantage de séries B et C. Mais deux moteurs sont aujourd’hui en panne.

Les marchés de l’immobilier virent au rouge vif

Sur le segment résidentiel, le retournement s’est opéré dès le 2nd semestre 2022 et la tendance restera négative à court terme.

Dans l’ancien, les ventes baisseront de plus de 10% en 2023. Dans le neuf, la tendance sera elle aussi négative avec des réservations inférieures d’environ 30% au niveau de la période 2017- 2019. La hausse des taux d’intérêt des crédits immobiliers et la dégradation du moral des ménages expliquent en grande partie ce revirement, après il faut dire une période d’euphorie.

Le marché locatif est lui aussi mis à rude épreuve : les fortes pressions sur le pouvoir d’achat freinent la mobilité.

Le climat n’est guère plus clément dans le tertiaire. Les investisseurs s’en détournent en raison de spread de taux moins favorables qu’auparavant par rapport à d’autres placements. L’institutionnalisation du télétravail pénalise aussi fortement les besoins en bureaux.

Cette dégradation de la conjoncture fragilisera mécaniquement les acteurs traditionnels de l’immobilier et du BTP, qui seront dès lors plus prudents en matière de politique d’investissement : la demande adressée aux proptech pour se doter de nouveaux outils numériques en pâtira.

Finie l’époque dorée du capital risque

Le changement de tendance est également à l’œuvre dans le capital-risque après deux années dorées, sous l’effet de la baisse des valorisations des start-up, de fenêtres d’entrée en bourse plus étroites pour les acteurs la tech et du resserrement de la politique monétaire, qui se traduit par une hausse des taux d’intérêt.

Si les levées de fonds ne sont pas toujours indispensables pour s’inscrire sur le chemin de la croissance, elles permettent dans bien des cas de poursuivre les phases de développement de la technologie, d’élargir les équipes commerciales ou encore d’étendre la couverture géographique. D’autant que parallèlement, la hausse des taux d’intérêt renchérit le coût du financement pour les proptech qui se financent par le crédit bancaire.

Cette dégradation des marchés clients et un accès plus difficile aux financements se traduiront par une augmentation des risques : pressions sur les prix, intensification de la concurrence, difficultés accrues pour atteindre la rentabilité et tensions sur la trésorerie. Risques qui seront d’autant plus marqués pour les proptech directement exposées à la conjoncture.

C’est le cas des intermédiaires dans le cadre d’un achat ou d’une location, et des offreurs de solutions pour valoriser les annonces dans le neuf et l’ancien confrontés au recul des offres immobilières et à la chute des programmes commercialisés par les promoteurs.

Vers une mutation du jeu concurrentiel en 3 possibilités

Ce contexte inédit pour un mouvement proptech plutôt jeune (Xerfi a recensé plus de 430 start-up en avril 2023, seuls 11% d’entre elles ayant été créées avant 2010) participera alors à accélérer les mutations du jeu concurrentiel à travers trois phénomènes.

Transformation du modèle des start-up les plus exposées

Une transformation du modèle des start-up les plus fortement exposées au retournement des marchés immobiliers, dont le modèle peinait à s’imposer ou à assurer une croissance rentable.

Un virage à 180° pris par exemple par la néo-agence Liberkeys qui a renoncé fin 2022 à sa solution de commission fixe. Son offre repose désormais sur une commission entre 2,5% et 4% du prix de vente. La jeune pousse vise à présent la rentabilité et le quasi- doublement de ses équipes d’agents dès 2023. Liberkeys pourra s’appuyer sur son nouveau groupe d’appartenance, Crédit Mutuel Arkéa, qui lui permettra notamment de réduire son coût d’acquisition client.

Le néo-syndic Bellman, pour sa part, confronté notamment à des difficultés croissantes d’accès au financement tandis que son modèle historique requiert d’importants fonds, s’est mué fin 2022 en éditeur de logiciel et a lancé une activité de franchise de syndic.

Hausse de la mortalité des proptech

 De nombreuses start-up ne réussiront pas à pivoter à temps ou dans le bon sens, ou à lever les fonds nécessaires à leur développement et leur survie. D’autant que la concurrence s’est accrue au cours des dernières années sur plusieurs segments.

LKSpatialist, qui avait notamment développé un logiciel dédié à la prospection foncière et à l’aménagement urbain, a été liquidé au printemps 2022, pénalisé notamment par l’arrivée de nouveaux concurrents à l’image d’Urbanease.

Augmentation des fusions-acquisitions

Une augmentation du nombre de fusions-acquisitions participera à la consolidation de cet univers. Les proptechs leaders sur leur segment et dont le modèle a déjà été validé par le marché seront à l’offensive, avec pour objectif d’étendre leur périmètre d’intervention, de bénéficier de synergies commerciales ou encore d’offrir à leurs clients une brique technologique supplémentaire.

Au cours des derniers mois, Garantme (rachat de Loumi et Citima), Prello (Je Rêve d’une Maison) ou encore Nomad Homes (Helloprêt) ont participé à ce mouvement.

Les Proptech, un potentiel de croissance encore bien réel à long terme

Si l’horizon à court terme s’assombrit, le risque d’un détournement massif des investisseurs de la proptech est toutefois à écarter, et ce pour plusieurs raisons.

Parce que l’immobilier est en retard en matière d’intégration du numérique

Le retard pris par les industries du bâtiment et de l’immobilier en matière d’intégration du numérique par rapport à d’autres secteurs, comme l’automobile, est important et représente un moteur de premier ordre.

Dans le BTP, par exemple, l’Observatoire de la Construction Tech indique que le différentiel cumulé de productivité depuis 1995 entre l’industrie et la construction était estimé à près de 130%.

D’importants gains de productivité sont encore possibles, par exemple pour améliorer l’efficacité sur les chantiers ou la maintenance des bâtiments grâce aux data.

Parce que la décarbonation du bâtiment est un impératif qui s’impose à tous

Elle se traduit par de nouvelles modalités de conception, construction et exploitation des lieux de vie et de travail. Les solutions pour aller vers plus de sobriété sont couvertes par de nombreuses start- up : construction hors site, logiciels d’éco-conception de bâtiments, systèmes de pilotage et d’optimisation des consommations énergétiques…

Mais pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de CO2 de 49% en 2030, de nouvelles solutions devront émerger et se diffuser : la proptech aura un rôle majeur à jouer.

Parce qu’avec le télétravail pousse le développement du smart office

Avec le développement rapide du télétravail, l’un des enjeux pour les directions immobilières et les investisseurs est de rendre les espaces de travail plus attractifs.

Outre l’ergonomie, le design ou encore l’agencement, la gestion du travail hybride et l’intégration de nouveaux services pour « réenchanter le bureau » demeurent deux impératifs, créant de nouvelles opportunités du côté du smart office.

Parce que les pouvoirs publics soutiennent les startups

Le soutien des pouvoirs publics pour encourager l’essor de jeunes pousses, que ce soit à travers le dispositif French Tech et les différents fonds gérés par Bpifrance, restera d’actualité à court ou moyen terme. Dans le cadre du plan France 2030, le gouvernement a par exemple annoncé début 2023 une enveloppe supplémentaire de 500 M€ pour les jeunes pousses issues de la recherche.

Parce que la dégradation de la conjoncture crée de nouveaux besoins

Le très net durcissement des conditions d’accès au crédit associé à la hausse des taux d’intérêt des crédits immobiliers au cours des derniers mois a exclu de nombreux Français de l’accession à la propriété, segment sur lequel plusieurs acteurs de la proptech tentent de s’engouffrer.

Les secteurs porteurs de la Proptech

La rénovation énergétique

Dans ce contexte, le segments de la rénovation énergétique restera porteur.

La taille du marché (près de 5 millions de passoires thermiques), la difficulté de trouver des artisans qualifiés, le manque d’informations et le coût des travaux soutiennent l’émergence de plateformes clés en main positionnées sur l’accompagnement des particuliers : audit, estimation du reste à charge, démarches administratives pour l’obtention des aides, suivi des travaux… Carb0n et Heero se sont récemment lancés sur ce marché, rejoignant notamment Cozynergy

La constructiontech

La constructiontech et plus spécifiquement la construction hors site avec des acteurs qui intègrent une forte dose de numérique, à l’image de Cyme, Muance ou encore Vestack. Ce modèle participe très directement à l’amélioration de la productivité et à la réduction de l’empreinte carbone dans la construction. Il requiert en revanche de lourds investissements pour lancer l’activité ;

L’investissement locatif

Autre secteur porteur, celui de l’investissement locatif travers des plateformes qui démocratisent le placement dans la pierre grâce à :

  • de nouveaux canaux de financement, à l’instar de la solution développée par Iroko (investissement via une SCPI sans frais de souscription et un parcours 100% en ligne) ou Bricks.co (investissement locatif sous forme d’obligation)

  • la simplification du parcours client à travers des solutions clés-en-main comme celles de Masteos, Beanstock ou encore Brik, qui couvrent la quasi-totalité de la chaîne de valeur : recherche de biens, estimation du rendement locatif, accompagnement à la transaction, aux travaux de rénovation et gestion locative ;

La surélévation

Dernier segment bien orienté, celui de la surélévation, porté par un environnement très favorable en raison du manque de foncier disponible dans les grandes agglomérations et des injonctions à la réduction de l’artificialisation des sols.

Upfactor, avec sa solution logicielle pour identifier les surfaces bâties présentant un potentiel de surélévation, compte parmi les rares start-up à adresser ce segment.

Les proptech à surveiller ? Le leasing immobilier, le co-investissement

D’autres catégories de proptech sont dans une position plus intermédiaire. Elles sont par exemple positionnées sur l’aide à l’accession à la propriété, que ce soit à travers le leasing immobilier (Hestia, Sezame) ou le co-investissement (Virgil), et doivent en revanche encore faire valider leur modèle par le marché. Si leur proposition de valeur cible un besoin clairement identifié, leurs solutions se heurtent à la correction en cours des prix des logements.

Les Proptech, un levier d’innovation pour les groupes immobiliers

Les proptech qui s’inscrivent en concurrence frontale avec les acteurs historiques de l’immobilier et du BTP n’ont pas su, jusqu’à présent, bouleverser les équilibres en place, à l’exception notable des réseaux de mandataires.

Elles sont en revanche nombreuses à s’adresser directement aux acteurs traditionnels et représentent une formidable opportunité pour accélérer la transition numérique d’une filière dont l’offre évolue à petits pas.

Pour les groupes historiques, les solutions portées par les proptech permettent d’améliorer l’efficacité opérationnelle (applications mobiles participant à accroître la productivité sur les chantiers, configurateurs de logements permettant de réduire la fréquence de Travaux modificatifs acquéreur…), de se positionner sur des marchés porteurs (bureau opéré, construction bois via le hors-site, coliving…) ou d’offrir des solutions à plus forte valeur ajoutée (smart building…).

Ces start-up représentent un levier d’externalisation de l’innovation, limitant les coûts et les risques associés aux efforts de R&D. Pour sourcer, orienter les développements, voire «capter» les solutions les plus prometteuses, les acteurs traditionnels peuvent :

  • miser sur le développement d’une offre intégrée d’incubation visant à faire émerger des solutions ciblant des problématiques préalablement identifiées, ou à défaut se rapprocher d’incubateurs ou d’accélérateurs dans le cadre de partenariats avec ces structures. Icade, par exemple, revendiquait début 2022 l’accompagnement de 11 start-up et spin-off grâce à son incubateur Urban Odysse. Lokimo est l’une d’entre elles. La proptech développe des solutions d’exploitation de la data permettant aux investisseurs et promoteurs d’identifier les secteurs géographiques à haut potentiel et d’évaluer les risques (concurrence, évolution des prix, etc.) ;
  • entrer au capital des start-up, voire en prendre le contrôle. C’est notamment grâce à cette voie que Nexity développe son offre sur le segment du coliving, un marché en forte croissance. Le leader de la promotion a en effet pris en 2021 une participation minoritaire au capital d’Urban Campus, qui doit ouvrir en 2024 une résidence de plus de 120 logements dans la métropole lilloise;
  • mettre en place de partenariats commerciaux ou technologiques. À titre d’illustration, Spie a pu participer au développement d’une solution de coffres connectés dédiés à résoudre les problèmes de livraison sur les chantiers en s’associant à la start-up Boks, dont l’offre initiale visait les particuliers.
Par MySweetImmo
Cet article a été rédigé par Vincent Desruelles, directeur d’études, Xerfi. Pour vous procurer l’intégralité de l’étude intitulée « Les Proptech face au retournement du marché », rendez-vous sur la boutique en ligne de Xerfi.