Immobilier : « L’effet ciseaux du DPE et des rénovations obligatoires », Charles-Antoine Perichon
Charles-Antoine Perichon, Directeur de marché ADB chez Orisha Real Estate, met en lumière un paradoxe criant : les immeubles les plus énergivores sont souvent ceux les moins armés pour engager les travaux.

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Charles-Antoine Perichon, Directeur de marché ADB chez Orisha Real Estate
Face au défi climatique, la France s’est fixée un objectif ambitieux : réduire de 40 % sa consommation énergétique d’ici 2030, avec un parc immobilier entièrement rénové aux normes basse consommation à l’horizon 2050. Au cœur de cette stratégie, les copropriétés représentent un enjeu majeur.
En effet, selon les dernières données de l’ANAH, elles constituent près de 30 % du parc immobilier français, avec plus de 760 000 immeubles totalisant 10,3 millions de logements. Mais un véritable décalage se profile : 14 % de ces copropriétés sont encore classées F ou G au DPE, tandis que plus de 40 % sont classées D ou E. Face à un calendrier réglementaire qui s’accélère, beaucoup peinent à tenir le rythme.
Le calendrier qui s’accélère : une pression réglementaire devenue réalité
La loi Climat et Résilience d’août 2021 a instauré un calendrier contraignant dont les premières échéances sont déjà passées :
- Depuis janvier 2023, les logements classés G+ (consommation énergétique supérieure à 450 kWh/m²/an) sont interdits à la location.
- Depuis janvier 2025, cette interdiction s’étend à tous les logements classés G.
- En 2028, les logements classés F seront également concernés, et en 2034, ce sera au tour des logements classés E.
Simultanément, la loi ELAN de 2018, renforcée par la loi Climat et Résilience, oblige depuis janvier 2023 toutes les copropriétés de plus de 15 ans à réaliser un DPE collectif et à élaborer un Plan Pluriannuel de Travaux (PPT) sur 10 ans. Pourtant, selon la FNAIM, environ un quart des copropriétés concernées ont déjà rempli ces obligations, bien que les efforts se soient intensifiés après les premières sanctions.
La réalité du terrain : un retard persistant malgré l’urgence
Gouvernance complexe et lente
Les décisions en copropriété sont prises lors d’assemblées générales, souvent sur la base de majorités exigeantes. D’après le Plan Bâtiment Durable, le délai moyen entre l’évocation d’un projet de rénovation et sa réalisation est d’environ 3,8 ans, malgré les tentatives de simplification des procédures. Un timing qui peine à correspondre aux impératifs réglementaires.
Une situation financière sous tension
Certaines études sectorielles montrent qu’une part non négligeable des copropriétés affiche un taux d’impayés supérieur à 15 %, compromettant leur capacité à financer des travaux conséquents. Le fonds travaux, bien que renforcé, reste insuffisant pour couvrir le coût moyen des rénovations, estimé à près de 20 000 € par logement.
Des données techniques insuffisantes
Les études du CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment) montrent que de nombreux syndics ne disposent pas encore de données fiables sur les bâtiments qu’ils gèrent, malgré l’obligation d’un carnet numérique du logement. Cette carence complique sérieusement la planification des travaux de rénovation énergétique.
Les défis spécifiques des syndics : entre responsabilité et faisabilité
Les syndics de copropriété se retrouvent dans une position particulièrement délicate. D’une part, leur responsabilité professionnelle est engagée quant au respect des obligations légales, avec un risque de mise en cause accru. D’autre part, ils doivent faire face à d’importantes contraintes opérationnelles :
- La difficulté à obtenir des majorités pour des travaux coûteux : les baromètres Qualitel-IPSOS montrent que la majorité des copropriétaires considèrent toujours que le coût des travaux est le principal frein à la rénovation énergétique, malgré l’augmentation des aides
- La complexité technique des interventions : d’après les analyses de l’ANIL (Agence Nationale pour l’Information sur le Logement), moins de la moitié des syndics estiment avoir les compétences techniques internes suffisantes pour piloter des projets de rénovation globale
- L’engorgement persistant des filières professionnelles : la Fédération Française du Bâtiment rapporte encore des délais d’attente significatifs pour des travaux de rénovation énergétique, même si on observe une amélioration progressive
Une analyse croisée pour mieux comprendre
Une analyse des blocages, croisant données techniques et juridiques de plus de 8 500 copropriétés, met en évidence des tendances notables :
La corrélation âge-structure-gouvernance
L’analyse montre que les copropriétés construites avant 1975 (soit plus de la moitié du parc selon l’INSEE) rencontrent des obstacles spécifiques : structures de décision fragmentées, règlements de copropriété obsolètes et documentation technique parcellaire. Ces immeubles, qui sont aussi les plus énergivores, sont paradoxalement les moins bien armés administrativement pour engager des rénovations.
Le « paradoxe du propriétaire-bailleur » exacerbé
Les données du ministère de la Transition Écologique montrent qu’une proportion croissante des logements en copropriété est détenue par des bailleurs. Ces derniers subissent directement les interdictions de location mais ne bénéficient pas des économies d’énergie générées par les travaux. Cette dissociation entre l’investisseur et l’usager crée un frein structurel documenté par la littérature économique sous le terme de « dilemme propriétaire-locataire », accentué par l’entrée en vigueur effective des premières interdictions de location en janvier 2025.
Le manque persistant d’anticipation budgétaire
L’analyse des comptabilités de copropriété révèle, selon l’Observatoire des Charges de Copropriété, qu’une minorité des copropriétés dispose d’un plan d’épargne travaux dimensionné pour faire face aux obligations de rénovation à venir. Cette insuffisance d’anticipation financière constitue toujours un obstacle majeur à la mise en œuvre des PPT.
Des solutions concrètes pour les syndics
Digitaliser la gestion technique des immeubles
Le déploiement d’outils numériques de suivi technique permet une meilleure connaissance du patrimoine et facilite la prise de décision. Les études du cabinet Xerfi confirment que les syndics équipés de solutions digitales de gestion technique ont un taux de mise en œuvre de travaux énergétiques significativement supérieur à la moyenne nationale, un écart qui tend à se creuser.
Rénover par étapes
La rénovation par étapes, ou « BBC par étapes », validée par l’ADEME et désormais encadrée par les référentiels techniques récents, permet d’échelonner les investissements tout en garantissant la cohérence technique globale. Cette approche augmente significativement l’acceptation des propriétaires selon les enquêtes d’opinion spécialisées.
Exploiter les données pour anticiper
L’analyse prédictive basée sur l’historique des consommations et l’état du bâti permet d’identifier les actions prioritaires et d’optimiser le retour sur investissement des travaux. Les études de l’Institut Paris Région démontrent que les copropriétés ayant bénéficié d’un audit énergétique associé à une simulation financière engagent des travaux dans une proportion bien plus importante que celles qui n’en bénéficient pas.
Mobiliser les dispositifs financiers adaptés
La combinaison intelligente des aides disponibles (MaPrimeRénov’ Copropriétés, CEE, éco-PTZ collectif, fonds régionaux) peut réduire significativement le reste à charge. L’ANAH indique que les copropriétés accompagnées par un opérateur spécialisé obtiennent en moyenne plus de 50% de financement pour leurs travaux de rénovation énergétique, un taux en progression constante depuis 2023.
Une gouvernance énergétique repensée pour les copropriétés
L’effet ciseaux entre obligations réglementaires désormais effectives et capacité opérationnelle encore insuffisante des copropriétés appelle une transformation profonde et urgente de la gouvernance énergétique de ce parc immobilier. Les syndics, au cœur de ce défi, doivent évoluer d’un rôle d’administrateur vers celui de conseil stratégique en matière de transition énergétique.
Cette évolution nécessite des outils adaptés permettant une gestion fine des données techniques et financières, une planification rigoureuse des interventions et une communication transparente avec les copropriétaires. C’est précisément pour répondre à ces besoins que des solutions intégrées permettant aux syndics d’accompagner efficacement les copropriétés dans cette transition obligatoire mais complexe existent.
Les copropriétés qui sauront anticiper et s’adapter à ces nouvelles exigences transformeront cette contrainte réglementaire en opportunité de valorisation patrimoniale. À l’inverse, l’inaction conduit déjà à une dévalorisation accélérée des biens concernés, créant une nouvelle forme de précarité énergétique et patrimoniale que nous observons concrètement depuis l’entrée en vigueur de l’interdiction de location des logements classés G en ce début 2025.