Rénovation énergétique : « Le piège de la surchauffe estivale », Sylvain Gruelles
Paradoxe surprenant : les logements rénovés deviennent des bouilloires thermiques en été. Sylvain Gruelles, expert du bâtiment durable, propose des solutions concrètes pour éviter qu’une isolation performante enferme la chaleur.

© Sylvain Gruelles
Sylvain Gruelles, entrepreneur et expert du bâtiment durable
Alors que la France accélère la rénovation énergétique pour faire face à l’urgence climatique, un angle mort persiste dans les politiques publiques : le confort d’été.
« Nous rénovons à marche forcée pour éviter les passoires thermiques en hiver, mais nous oublions totalement l’été. Résultat : on transforme des logements performants en “bouilloires modernes”. Il est urgent d’intégrer cette réalité dans nos choix politiques », alerte Sylvain Gruelles, entrepreneur et expert du bâtiment durable, sur un paradoxe préoccupant !
Avec des canicules de plus en plus fréquentes et intenses, le confort d’été devient une priorité de santé publique, en particulier pour les plus vulnérables.
Les logements rénovés deviennent des pièges à chaleur
Les rénovations actuelles sont souvent pensées pour l’hiver. Isolation renforcée, étanchéité accrue, double vitrage : autant de dispositifs efficaces contre le froid… mais parfois désastreux l’été, faute de ventilation, de protection solaire ou d’inertie thermique.
« Mon appartement a été rénové l’an dernier. Super isolation, double vitrage, mais pas de volets. Résultat : 32 °C dans le salon tout juillet. C’est invivable », commente Camille, 42 ans, habitante de Bordeaux.
Une étude du Réseau Action Climat et de l’Union sociale pour l’habitat indique que 38 % des locataires HLM décrivent leur logement comme une “bouilloire” l’été. À Paris, 55 % des habitants ont souffert d’une chaleur excessive chez eux pendant au moins 24 heures consécutives à l’été 2023.
Une isolation performante… qui enferme la chaleur
Selon IGNES, moins de 10 % des logements récents sont adaptés aux fortes chaleurs. Dans plus de 90 % des rénovations, les protections solaires (volets, stores, brise-soleil) sont absentes ou insuffisantes.
En bloquant les échanges thermiques avec l’extérieur, on enferme la chaleur dans les logements. Sans ventilation ni stratégie passive, la température intérieure peut rapidement dépasser les 30 °C.
Des principes éprouvés mais largement ignorées
Le confort d’été repose sur des principes éprouvés, souvent peu coûteux, mais largement négligés : des protections solaires extérieures (volets, stores, brise-soleil) permettent de réduire jusqu’à 60 % les apports de chaleur (source : ADEME), des matériaux à forte inertie thermique (pierre, béton, terre crue) aident à lisser les pics de chaleur et une ventilation naturelle traversante bien conçue permet de rafraîchir sans climatisation.
Sans oublier les toitures végétalisées et murs végétaux qui contribuent à réduire significativement la température ambiante.
Malgré leur efficacité, ces solutions sont rarement encouragées, ni exigées, par les dispositifs publics comme MaPrimeRénov’.
Quelles solutions pour une rénovation adaptée au climat ?
« Nous risquons de construire les passoires thermiques de demain… pour l’été. Des logements classés A au DPE peuvent devenir inhabitables dès que les températures extérieures dépassent 30 °C », ajoute Sylvain Gruelles.
Les plus fragiles, enfants, personnes âgées, ménages modestes, sont les premiers touchés. Ceux qui n’ont ni climatisation, ni maison secondaire, ni moyens d’adaptation.
« Face aux températures qui explosent, il ne suffit plus de moins chauffer. Il faut aussi savoir mieux rafraîchir. Rénover sans penser à l’été, c’est rénover contre le climat», poursuit-il en appelant à une refonte en profondeur de la stratégie de rénovation énergétique, fondée sur une approche bioclimatique, territorialisée et centrée sur l’usage réel des logements, avec quatre propositions clés.
Créer un “indice de confort d’été” intégré au DPE
Le DPE actuel évalue les performances hivernales… mais ignore totalement le comportement des logements en période chaude.
« Intégrer un indice de surchauffe estivale basé sur les matériaux, l’orientation, la ventilation et la protection solaire. Ce critère permettrait d’éviter qu’un logement classé A soit en réalité invivable l’été », propose-t-il.
Conditionner les aides publiques à la prise en compte du confort d’été
Aujourd’hui, les dispositifs comme MaPrimeRénov’ peuvent financer des rénovations… qui aggravent la chaleur intérieure.
« Rendre obligatoire l’intégration de solutions passives (ombrage, ventilation naturelle, inertie thermique) pour toute rénovation financée par l’État », poursuit Sylvain Gruelles.
Déclencher un “plan ombrage” national dans les zones urbaines denses
En ville, l’effet d’îlot de chaleur amplifie le problème : trop de logements sans volets, exposés plein sud, avec des vitrages qui agissent comme des loupes.
« Lancer un programme national de végétalisation ciblée, d’équipement en brise-soleil et de refonte des règlements d’urbanisme pour imposer l’ombre là où elle fait défaut », précise Sylvain Gruelles.
Former tous les professionnels à la conception bioclimatique
Architectes, artisans, thermiciens : trop peu sont formés à penser le confort d’été sans climatisation.
« Intégrer un module “été” obligatoire dans toutes les formations financées par les certificats d’économie d’énergie, et labelliser les rénovateurs capables de garantir le confort été comme hiver », conclut Sylvain Gruelles.