Immobilier de bureau : « Ville et travail, une nécessaire réinvention commune », Raphaël Madar
Raphaël Madar, Directeur Général du Groupe WS se penche sur l’avenir des grands locaux de bureaux vacants en centre-ville. Il plaide pour une réinvention de ces espaces et de l’aménagement urbain.

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Raphaël Madar, Directeur Général chez Groupe WS (Work and Sleep)
Depuis quelques années, une transformation silencieuse mais profonde bouleverse le visage de nos villes : l’évolution du travail. Télétravail, hybridation des modes de collaboration, nomadisme professionnel, percée des outils numériques… ces mutations redessinent nos habitudes et, avec elles, nos espaces. Paris, comme tant d’autres capitales, n’échappe pas à ce mouvement : chaque semaine, des milliers de mètres carrés de bureaux restent vides.
Les conséquences du télé-travail
À première vue, cela pourrait sembler anecdotique. Après tout, les salariés travaillent toujours, même à distance. Mais les conséquences de cette vacance sont bien réelles. Pour les quartiers, moins de bureaux occupés signifie moins de flux, moins de clients dans les restaurants, boulangeries, librairies ou petits commerces qui vivaient du rythme quotidien des employés.
La ville et le travail ont toujours été liés. Historiquement, c’est l’implantation d’activités économiques qui a façonné les quartiers, attirant logements, commerces et services. Aujourd’hui, l’évolution des pratiques professionnelles rompt ce lien. Le risque est double : voir s’étendre des zones entières de bureaux inoccupés et, dans le même temps, fragiliser le tissu social et économique des centres-villes.
Repenser les usages des bureaux inoccupés
Faut-il pour autant subir cette mutation ? Certainement pas. Ce moment doit au contraire être perçu comme une opportunité : celle de repenser l’usage de nos espaces, de réinventer les synergies entre ville et travail, de façonner un environnement en phase avec de nouveaux besoins. Les bureaux vides ne sont pas une fatalité ; ils représentent une ressource précieuse. Leur réhabilitation peut permettre de répondre à des besoins criants : logements sociaux, résidences intergénérationnelles, espaces de coworking de proximité, lieux culturels ou associatifs.
La clé réside assurément dans la mixité fonctionnelle : combiner au sein d’un même immeuble, d’un même îlot urbain, ou au sein d’un même étage, logements, commerces, espaces de loisirs, de restauration et services publics. Cette diversité des usages crée du lien social, génère des flux tout au long de la journée et rend les quartiers plus résilients face aux évolutions économiques.
A Paris, les enjeux sont multiples pour faire évoluer les usages et les bâtiments vers une capitale plus verte, solidaire et innovante : mixité fonctionnelle, transformation de bureaux en logements, végétalisation, innovation d’usage, animation sont autant de leviers pour que la ville conserve son attractivité nationale et internationale.
Le projet MurMure dans le 11ème à Paris : un bel exemple
L’exemple du projet MurMure dans le 11ème arrondissement illustre cette vision : issu de l’appel à projet « Réinventer Paris », il comportera studios, espaces de coworking, commerces et restauration autour de d’un même ilot. D’autres projets parisiens, de la reconversion d’anciens hôtels particuliers en espaces partagés à la transformation de tours de bureaux en résidences, en commerce, en réfectoires démontrent qu’une autre approche est possible.
Redynamiser ces mètres carrés vacants, c’est non seulement redonner vie aux quartiers, mais aussi accompagner une évolution sociétale profonde. Le salarié a changé : il aspire à plus de flexibilité, à des lieux de travail à taille humaine, connectés aux quartiers où il vit, équipés pour des besoins immédiats ou disponibles en courte-durée à l’occasion de déplacements. En d’autres termes, c’est un nouveau contrat entre ville et travail qui se dessine, basé sur la proximité et la mixité des usages.
Cela suppose une volonté collective. Pouvoirs publics, entreprises, investisseurs et acteurs de l’aménagement doivent dialoguer pour accélérer les projets de réhabilitation, et soutenir les initiatives innovantes. La ville de demain ne pourra pas s’écrire sans une compréhension fine de ces transformations du travail.
Adapter la ville aux mutations du travail
La réinvention commune de la ville et du travail est une nécessité. Parce qu’un immeuble vide n’est pas seulement une ligne comptable : c’est un espace en attente de sens. Et parce qu’une ville qui ne s’adapte pas aux mutations du travail risque de perdre ce qui fait son énergie, sa diversité et son attractivité.
Le monde du travail change et c’est une chance. À nous de faire en sorte que nos villes changent avec lui, pour que bureaux, logements, commerces et espaces collectifs ne soient plus pensés séparément mais comme les pièces complémentaires d’un même écosystème vivant et innovant.