Crédit immobilier : Et si le taux d’usure était corrélé à l’étiquette énergétique des biens ?

Sophie Ho Thong propose la création d’un taux d’usure vert majoré pour le financement de l’achat des biens dont le DPE est noté A, B ou C ou pour lesquels les travaux de rénovation énergétique sont inclus.

Sophie Ho Thong

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Sophie Ho Thong, Directrice juridique et de la stratégie de Finance Conseil

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Le taux d’usure actualisé mensuellement a atteint 3,87 % pour les prêts de moins de 20 ans et 4% pour les prêts de 20 ans et plus. Néanmoins, la méthode de calcul du taux d’usure reste inchangée et se base toujours sur la moyenne des taux pratiqués sur les crédits décaissés par les banques le trimestre précédent augmenté d’un tiers. Or, avec des taux nominaux qui ont dépassé 3% sur les maturités supérieures à 20 ans, ce calcul met en difficulté les emprunteurs et pénalise les primo accédants disposant de peu d’apport et les personnes de plus de 45 ans pour lesquels le montant de l’assurance est plus élevé.

Rappelons que cette méthode de calcul a été instituée en 1935, dans un souci de protection des ménages alors que les taux d’intérêts étaient élevés. Le caractère pénal ainsi que la méthode de calcul du taux d’usure est une exception française.

Le Gouverneur de la Banque de France a choisi d’adopter une approche prudentielle et de maintenir cette méthode de calcul. Pour autant ne faudrait-il pas réfléchir à une manière d’utiliser le taux d’usure comme levier de rationalisation du marché et d’accompagnement de la transition énergétique du parc immobilier.

8 français sur 10 ont recours à un crédit immobilier pour acheter leur résidence principale, il est certain que la distribution de crédits a un rôle majeur à jouer.

Les contraintes normatives entravent la transition énergétique

« Nous constatons que les principales difficultés pour accompagner les emprunteurs disposant d’une situation stable et d’un profil solvable sont les normes en matière de taux d’usure et sa méthode de calcul inadaptée, ainsi que celles édictées par le Haut Conseil de la Stabilité Financière imposant 35% d’endettement, précise Sophie Ho Thong, Directrice Juridique et de la Stratégie de Finance Conseil. 30 % des dossiers de demande de crédit immobilier ont été écartés en raison du taux d’usure qui n’augmente pas suffisamment proportionnellement à la hausse des taux nominaux. »

Or, depuis le 1er janvier 2023, les biens les plus énergivores ne peuvent plus être mis en location. Ce sont 2 millions de biens qui sont concernés dont 1,7 million dans le parc privé. Les contraintes normatives d’encadrement des crédits nous empêchent d’accompagner avec nos partenaires bancaires la transition énergétique du parc immobilier français qui présente 4,8 millions de passoires thermiques.

En 2021, seuls 57 117 biens ont bénéficié d’une rénovation énergétique globale. De surcroît, la baisse des factures d’énergie en cas de rénovation n’est pas prise en compte dans le calcul de l’endettement et les banques demandent une épargne résiduelle entre 10 et 20% du montant des travaux. Sans financement, il ne peut y avoir de rénovation énergétique. En moyenne le reste à charge pour les ménages est de 53%, une fois les aides appliquées comme MaPrimeRénov’ et les certificats d’économies d’énergie.

Rationaliser les conditions d’octroi des crédits pour atteindre la neutralité carbone

« Afin d’atteindre l’objectif de neutralité carbone projeté par le gouvernement d’ici 2050, et nous donner les moyens de nos ambitions de devenir une France Nation verte comme annoncée par la première Ministre Elisabeth Borne, il devient urgent de mettre en place des règles incitatives qui favoriseront la transition énergétique », reprend Sophie Ho Thong. Pour cela, je propose la création d’un taux d’usure vert majoré pour le financement de l’achat des biens dont le DPE est noté A, B ou C, ou des biens pour lesquels les travaux de rénovation énergétique sont inclus dans le plan de financement avec engagement des emprunteurs à les réaliser dans un délai de 18 mois. Il est certain que cela créera un cercle vertueux qui incitera à l’achat de bien à basse consommation énergétique et à la rénovation des biens énergivores. »

Le coût des dépenses contraintes comme la consommation d’énergie peut être multiplié par six entre un bien énergivore et un bien de basse consommation. Cela impacte significativement la solvabilité de l’emprunteur. Les banques ont donc tout intérêt à étendre leur analyse au DPE des biens immobiliers et non plus uniquement le profil d’un emprunteur.

La distribution de crédit au cœur de la transition énergétique

« En cumulant un taux préférentiel d’octroi du crédit qui serait accordé par les établissements bancaires et un taux d’usure vert majoré pour l’achat d’un bien à faible consommation énergétique ou lorsque l’acquéreur s’engage à réaliser les travaux dans un délai limité pour atteindre la note A ou B, nous pourrons atteindre nos objectifs. La prise en compte de la valeur verte du bien dans l’octroi d’un crédit immobilier permettrait ainsi de favoriser la vente de biens à faible dépense énergétique, et donc inciterait la rénovation des biens par les propriétaires« , affirme Sophie Ho Thong.

De surcroît, cette logique s’inscrit parfaitement dans l’approche proposée par la Banque Centrale européenne dans son guide relatif aux risques liés au climat et à l’environnement. Cela permettra également de réguler les prix de l’immobilier de manière à orienter la demande vers des biens à basse consommation ou des biens à rénover pour atteindre la note A, B ou C.

« Les établissements de crédit doivent donc être au cœur de la régulation des prix de l’immobilier et de la rénovation énergétique, mais un accompagnement de l’Etat par la création d’un taux d’usure vert majoré est plus que nécessaire pour être devenir une nation verte », conclut-elle.

Par MySweetImmo