Marchés immobiliers résidentiels : entre splendeur et misère

Rendez-vous exclusif. Chaque mois, le professeur d’Economie Michel Mouillart décrypte les marchés pour Mon Podcast Immo. Quid des cinq grands indicateurs permettant d’analyser et de comprendre le marché.

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Pour appréhender la situation du marché, le premier indicateur à examiner est celui de la construction neuve. Quels en sont les chiffres ?

Les chiffres concernant la construction neuve sont confus. Prenons exemple de l’année 2020 où il nous a été expliqué à la fin du mois de janvier dernier, que 377000 logements avaient été construits. Cependant, les chiffres parus fin mars nous informent que 357000 logements ont été construits en 2020. 

Cela illustre ce qui se constate habituellement lorsqu’on s’intéresse au niveau de la construction durant une année donnée : des variations, la plupart du temps des pertes, de 15 000, 20 000 voire 40 000 logements commencés d’une année à l’autre. Cette perte est tout, sauf négligeable, car au final nous ne savons pas combien de logements sont construits en France. Mais il faut faire comme si la statistique publique nous informait sur le niveau de la construction.

Le constat est que l’année 2021 va continuer à connaître une hémorragie de la construction. Nous nous attendons à un peu plus de 320 000 mises en chantier en 2021, c’est à dire près de 120 000 unités de moins qu’au début du quinquennat. L’argument traditionnel utilisé par le ministère du Logement est de faire porter la faute aux élus locaux qui auraient retardé l’attribution des permis de construire ou qui ne veulent plus s’engager sur de nouveaux projets de construction. 

Cependant, il faut rappeler que le quinquennat a commencé par une remise en cause de l’ensemble des soutiens budgétaires à la construction : l’accession à la propriété, l’investissement locatif privé, la construction locative sociale ; mais aussi, avec la réforme de la fiscalité locale : avec notamment la modification puis la suppression progressive de la taxe d’habitation. 

Cela amène les élus locaux à se trouver dans une situation budgétaire d’incertitude totale. Personne ne peut faire confiance à l’État en matière de compensation, comme la soi-disant compensation des pertes de TFPB le rappelle, les élus locaux se trouvent confrontés à une incertitude bloquant leurs ambitions en matière de construction.

Concernant la construction locative sociale, elle suscite actuellement l’intérêt des pouvoirs publics. Mais en l’espace de 5 ans, depuis le début du quinquennat, nous notons une perte de 20 000 logements locatifs sociaux construits chaque année. Cette perte n’est pas seulement due aux élus locaux, bien qu’il y ait eu des retards ou des remises en cause de projet. Il faut rappeler la remise en cause des soutiens budgétaires publics mais aussi le fait que l’article 55 de la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) constitue un blocage pour beaucoup de projets de construction. En effet, un élu qui serait dans l’obligation de disposer de 20% de logements locatifs sociaux sur son territoire mais qui se trouve à 19,6% n’encouragera pas la construction privée sur son territoire. Car s’il le fait l’objectif des 20% recule. Or aujourd’hui, on ne sait plus lancer de programmes de construction locative sociale sans la péréquation financière entre construction sociale et construction privée : une partie importante des coûts générés par la construction locative sociale est reportée sur le secteur privé, dans le cadre de projet mixant locatif et accession, par exemple. Par conséquent, le système est bloqué et il n’est pas étonnant d’obtenir un tel niveau de construction en 2021.

Enfin, depuis le début du quinquennat l’accession à la propriété s’est effondrée. Entre 2017 et 2021 nous notons une perte de 80 000 logements en accession à la propriété chaque année, en maison individuelle et dans le secteur de la promotion. Et cet effondrement explique les ¾ de la chute de la construction !

Et concernant les logements anciens ?

Au niveau du marché de l’ancien, la statistique publique diffuse des chiffres souvent surprenants, sans grand rapport avec la réalité. 

Depuis le début de l’année, nous nous sommes aperçus, en regardant les compromis signés et le nombre de prêts accordés pour financer les acquisitions, qu’il y a eu un très mauvais début d’année, en janvier et en février. Cependant, le mois de mars a connu une remontée significative de l’activité. Cette remontée est saisonnière puisque tous les ans le mois de mars enregistre une progression de l’activité de 20% (voire de 30% certaine année) par rapport au mois de janvier. Mais cela ne signifie pas que l’année 2021 va atteindre un niveau de ventes comparable à ceux des années 2017 et 2018. Car il faudra attendre 2022 ou 2023 pour retrouver des niveaux d’activité comparables.

En revanche, en 2021 le recul de l’activité sur le marché de l’ancien sera probablement moins important que ce à quoi nous nous attendions à la fin de l’année dernière. Nous serons certainement sur un recul de 4% à 5%. Ce qui est faible comparé à ce que nous avons connu en 2020 (de l’ordre de 15%). 

Cependant, si on observe les clientèles sorties du marché de l’ancien ce sont des ménages modestes et des jeunes qui sont identifiés. Or ce sont ces ménages qui ont un besoin impérieux de se loger en milieu urbain et qui ont besoin d’un soutien public pour réaliser leurs projets. Cependant, les soutiens publics n’existent plus à ce niveau-là, ce qui va renforcer le blocage de l’ensemble des chaînes de mobilité.

Le 3ème indicateur concerne les prêts accordés. Où en est-on du nombre de prêts octroyés ?

Le nombre de prêts octroyés est à l’image de ce que nous venons de voir sur le marché de l’ancien et du neuf. Depuis la fin du premier trimestre de l’année, nous connaissons une diminution de 2 à 3% du nombre de prêts octroyés au premier trimestre, en comparaison de l’année 2020 à la même époque. Mais rappelons que le début de l’année 2020 n’avait pas été excellent, perturbé par la mise en œuvre des premières dispositions de resserrement du crédit voulues par la Banque de France. Puis en mars 2020, l’activité du marché des crédits a commencé à dévisser, avec le premier confinement. Alors, bien sûr, le recul observé cette année est moins fort que celui de 2020 qui était de l’ordre de 18%. Mais après une année 2020 d’effondrement du marché, l’effritement du début de l’année 2021 fait que depuis 15 mois, le nombre de prêts à baissé de près de 20%. Mais cela n’est pas surprenant puisque les dispositions prises par la Banque de France à la fin de l’année 2020 concernant le renforcement du resserrement de l’accès au crédit continue à peser sur la demande de crédits.

L’enjeu n’est plus maintenant le niveau des taux d’intérêt, même si en termes d’affichage cela est important. Mais l’enjeu est maintenant celui du niveau des taux d’apport personnel exigé ! Car pour un grand nombre de ménages, il n’est plus possible de faire face à l’augmentation de l’apport personnel imposée par les autorités monétaires.

4e indicateur les taux de crédit, comment ont-ils évolué en cette mi-avril ?

Les taux ont continué à baisser au long du premier trimestre et au mois de mars nous sommes revenus sur le point le plus bas connu en décembre 2019, 1,10%. Au mois d’avril, la baisse continue et à la mi-avril le taux moyen était de 1.07%, un niveau jamais connu jusqu’alors.

Cette baisse, à la différence de ce qu’on a pu craindre au début de l’année, bénéficie à tous les ménages, des plus aisés aux plus modestes. Pour qu’un ménage modeste puisse bénéficier de cette baisse de taux, il faut bien sûr qu’il dispose d’un apport personnel conséquent. Mais a priori, toutes les tranches de revenus, toutes les tranches d’âge et tous les marchés (le neuf, l’ancien et les travaux) peuvent en bénéficier.

Nous remarquons également que la structure de la clientèle des banques a continué de se transformer, avec une nouvelle baisse des prêts à moins de 15 ans, mais une nette augmentation des prêts sur 20 à 25 ans.

Nous constatons donc un allongement sensible de la durée moyenne des prêts octroyés. Ainsi pour les moins de 3 SMIC, entre décembre 2020 et mars 2021 la durée des prêts octroyés s’est accrue de 11 mois. Cela signifie que la clientèle modeste est moins nombreuse mais qu’elle s’endette sur des durées plus longues pour compenser les exigences en matière d’apport personnel. 

Au niveau des prix, un ralentissement a-t-il été observé ?

Côté prix, nous avons observé une accélération des prix sur les maisons en février, et les premiers éléments dont nous disposons sur le reste du marché confirment cette accélération. 

Et à l’avenir, il y aura encore des villes où les prix vont exploser et d’autres qui verront leurs prix diminuer légèrement. Mais globalement, nous ne sommes pas prêts d’observer des chutes de prix significatives. 

Michel Mouillart, Professeur d’Economie, FRICS